UN QUARTIER RÉFRACTAIRE À LA MODERNITÉ |
I- LA GANGRENE DU PARIS
HAUSSMANNIEN
Le
XIXème siècle est pour Paris la fin d’un moyen-âge, le début d’une ère de modernité.
La refondation entreprise dans la seconde moitié du siècle n’obéit pas à de vieux
rêves napoléoniens de grandeurs, mais à l’emprise de la nécessité. Le Paris du
XIXème est pourtant un Paris qui renaît, qui change de visage, et accueille un
nouveau peuple. Paris est désormais à tous. L’espérance que la ville véhicule
se propage dans les campagnes qui envoient leurs hommes cueillir un peu de cet
espoir. Mais l’urbanité parisienne n’est pas encore une modernité, et la misère
prendra très rapidement le pas sur les espoirs suscités par la grande ville. Paris,
inadapté à ce nouveau contexte social, mal préparé à cette poussée démographique
est contraint de se moderniser. C’est le Second Empire qui s’attellera à cette
tache.
L’effort
et les moyens mis en place sont considérables, mais l’œuvre reste inachevée. Même
après les grandes manœuvres du baron Haussmann subsisteront quelques îlots de
résistance à la modernité. Des lieux où la misère persiste dans des ruelles encore
trop sombres. La rue Mouffetard est un de ces foyers inaltérés par la modernité
urbaine. Elle concentre, comme un témoignage du Paris d’antan, tous les maux qu’Haussmann
a voulu éradiquer. Ses murs sont sales et fissurés, son peuple est pauvre et les
autorités du Second Empire semblent avoir du mal à le maîtriser. Sa population
intrigue. Elle semble constituer un peuple à part. C’est une agrégation de micro-sociétés
qui vivent en bruyant voisinage, avec leurs propres coutumes, leurs propres codes,
leur identité propre. Les groupes que forment les chiffonniers ou encore les Creusois
en sont très représentatifs. Leur intégration dans Paris passe d’abord par une
intégration dans ces cercles communautaires. Seules ces populations semblent pouvoir
survivre dans cette misère parisienne, qui se distingue tant des conditions d’existence
du Paris moderne de l’ouest et d’une partie de la rive droite.
Les récits de voyageurs
sont souvent utilisés pour évoquer la physionomie historique des villes. Ces récits,
écrits qui offrent un regard vierge sur la ville, permettent effectivement de
rendre compte avec une certaine fidélité de la situation, même si les commentaires
qui suivent relèvent plus de l’impressionnisme que du réalisme. Un des plus célèbres
tableaux de Paris, est celui de Louis Sébastien Mercier, qui permet d’apprécier
la réalité du Paris d’avant la Révolution, le texte ayant été écrit entre 1781
et 1788. A cette époque, et jusque dans les années 1830, Paris présente encore
tous les incohérences d’une ville médiévale. Alors que la population ne cesse
de croître, les limites de la ville restent inchangées, Paris se limitant alors
à peu près aux six premiers arrondissements actuels. Au delà du mur d’enceinte
des Fermiers-Généraux, se trouve une banlieue campagnarde coupée ça et là par
les routes majeures qui rejoignent la province. A l’intérieur de ce petit Paris,
isolé du reste de la France par cette enceinte et les barrières d’octroi, se répartit
une population diverse selon les quartiers. A l’Ouest, dans les Faubourgs Saint-Honoré
et Saint-Germain, vit une population aisée. Cette population reste à l’écart des
classes laborieuses, même si une grande partie de la domesticité se loge
sous les combles de ses immeubles. Les classes laborieuses, elles,
se massent dans les différents faubourgs, Saint-Antoine, Saint-Victor, des Arcis,
ou encore dans le Faubourg Saint-Marceau qui comprend la rue Mouffetard.
En 1793, la Convention charge la Commission
des artistes de rédiger une note dressant l’état de la capitale:
« La
Commission a considéré l’ensemble général de Paris et a surtout été frappée de
l’incohérence et de l’irrégularité de toutes ses communications, de leurs insuffisances
pour le commerce et la circulation, de défaut de places et de marchés publics,
de ses quais obstrués, d’une multitudes de rues étroites et sinueuses où l’air
circule à peine, enfin des foyers de corruption et d’insalubrité qui s’y trouvent
et dont l’humanité souffrante réclame la destruction depuis longtemps. » [1]
La
saleté, le bruit, la difficulté de déplacement dans une ville sans trottoirs,
mal pavée, ne cessent de surprendre les voyageurs. C’est la même horreur qui pousse
Louis Sébastien Mercier et la jeune Fanny Trollope, grande bourgeoise britannique,
à écrire les lignes qui suivent. A cinquante ans d’intervalle, la capitale semble
toujours aussi sale et inadaptée à son rang dans le monde et à sa population :
« Un
large ruisseau coupe quelquefois une rue en deux, et de manière à interrompre
la communication entre les deux côtés des maisons. A la moindre averse, il faut
dresser des ponts tremblants... Des tas de boues, un pavé glissant, des essieux
gras, que d’écueils à éviter! Le piéton aborde néanmoins; à chaque coin de rue
il a appelé un décrotteur; il en est quitte pour quelques mouches à ses bas. Par
quel miracle a-t-il traversé la ville du monde la plus sale? ».
[2]
Au
cours de son voyage, Fanny Trollope s’étonnera elle-aussi du spectacle qu’offre
la contemplation de la capitale française. Elle découvre avec surprise l’abjection
dans une ville dont le prestige retentit dans l’Europe entière :
« Dans
une ville où tout ce qui est visible est transformé en grands ornements, où les
boutiques et les cafés ressemblent aux palais de fées[...], où les femmes semblent
trop délicates pour être entièrement de ce monde et les hommes trop soigneux et
trop prudents pour laisser les vents déranger leur apparence, on est choqué et
dégoûté à chaque pas par des spectacles et des odeurs que je n’ose décrire [...] » ” [3]
Ces quelques extraits
semblent suffire à témoigner du retard de Paris en matière d’urbanisme. L’insalubrité
généralisée de la ville favorisa d’ailleurs les grandes épidémies. Rappelons que
le choléra tua 20.000 parisiens en 1832 et presque autant en 1849.
La
littérature d’époque dresse pourtant le tableau d’une ville pleine de magnificences.
Mais Balzac et Stendhal ont presque complètement
occulté la majorité écrasante de la population qui vivait dans les conditions
les plus misérables. Peut-être s’agit-il d’un réflexe très particulier à la Monarchie
de Juillet que d’éliminer systématiquement la plus importante partie de la population,
pour ne garder que la bonne société, élégante et instruite. Notons tout de même
qu’en 1846, les deux tiers de la population parisienne étaient considérés comme
vivant dans le dénuement.
La misère, escamotée
aux yeux du monde par le prestige de la vie mondaine, restera une réalité très
majoritaire à Paris jusqu’aux grands travaux d’Haussmann. La rue Mouffetard n’échappe
nullement à cette misère, et peut être considérée au contraire comme étant au
centre du Paris le plus vil. Il s’agit d’abord d’une des plus vieilles rues de
Paris. Certains historiens voient dans son tracé sinueux une voie antérieure aux
voies romaines. Sous l’antiquité romaine, c’était la route d’Italie, qui conduisait
à Rome. Pendant tout le Moyen-Age, l’alignement des rues de la Montagne-Sainte-Geneviève,
rue Descartes, rue Mouffetard, et ce qui est aujourd’hui l’avenue des Gobelins
jusqu’à la place d’Italie formait la grande rue Saint Marceau, qui était
une des principales voies de la capitale. C’est seulement Haussmann qui mettra
fin à sa place privilégiée dans le plan de Paris. C’est la rue Monge, de la place
Maubert au boulevard Port-Royal, puis l’avenue de Gobelins qui se substitueront
à la rue Mouffetard comme route d’Italie. [4]
Jean-Jacques Rousseau,
autre observateur du XVIIIème siècle, arrivant justement à Paris par cette route
d’Italie, exprime dans Les Confessions son étonnement devant les scènes
qu’offre la traversée du Faubourg Saint-Marceau:
Il n’y vit que « des
petites ruelles sales et puantes, de vilaines maisons noires, l’air de la malpropreté,
des mendiants, des charretiers, des ravaudeuses, des crieuses de tisanes et de
vieux chapeaux. Tout cela me frappa d’abord à tel point, que tout ce que j’ai
vu depuis à Paris de magnificence réelle n’a pu détruire cette première impression,
et qu’il m’en est resté longtemps un secret dégoût pour l’habitation de cette
capitale ».
[5]
Plus que la surprise
ou la curiosité, c’est la déception qui prime dans ces lignes. Rousseau se faisait
en effet une joie de découvrir un Paris qu’il imaginait à la hauteur de son rayonnement
en Europe. En entrant à Paris par ce même faubourg, le Candide de Voltaire a l’impression
d’arriver « dans plus vilain village de la Westphalie » [6]
. Mercier, à peu près à la même époque,
y voyait le quartier le plus populaire de Paris. Ce dernier qui connaît parfaitement
Paris, ne se laisse pas impressionner par la misère, pour laquelle il a au contraire
une certaine fascination, phénomène sur lequel on reviendra plus loin :
« C’est le quartier
où habite la populace de Paris, la plus pauvre, la plus remuante et la plus indisciplinable.
Il y a plus d’argent dans une seule maison du Faubourg Saint-Honoré, que dans
tout le Faubourg Saint-Marcel ou Saint-Marceau pris collectivement. » [7]
.
Même
si une hiérarchisation sociale des quartiers paraît vaine, certains voyant dans
le proche quartier Saint-Victor ou encore dans le quartier de l’Hôtel de Ville
les hauts lieux de la misère parisienne, le quartier Mouffetard est assurément
dans cette première moitié du XIXème, l’image même du quartier populaire.
C’est du moins ce que semble montrer M. de Chateauterne, qui se livre à une parodie
des ouvrages de Chateaubriand en publiant en 1811, Itinéraire de Pantin au
Mont Calvaire, en passant par la rue Mouffetard, le faubourg Saint-Marceau, …,
ou Lettres inédites de Chactas à Atala. [8]
M. de Chateauterne
utilise justement cette image archétypique du quartier populaire dont est porteuse
la rue Mouffetard, pour briser l’exotisme romantique de Chateaubriand et se rire
de son goût du pittoresque. Il parodie Chateaubriand en reprenant les citations
de celui-ci pour les appliquer à la laideur et à la puanteur des quartiers Mouffetard
et Saint-Marceau. Si ceci peut paraître assez anecdotique et d’un rapport lointain
avec notre sujet, on ne peut pas négliger le choix du quartier Mouffetard comme
antithèse du romantisme. La parodie de M. de Chateauterne est révélatrice de la
réputation du quartier, et quelque part aussi, de sa réalité.
Le Paris pré-haussmannien
étant très largement pathologique, la misère présente dans les images du quartier
n’est donc qu’une question d’intensité par rapport au reste de la ville. Or, le
vaste processus de modernisation de la capitale durant le Second Empire n’atteindra
pas la rue Mouffetard. Son image ne cessera alors de se construire en opposition
à la ville nouvelle.
B/ Le parasite du Paris nouveau
Les tentatives de
transformation de Paris menées dans la première moitié du XIXème se
sont avérées très largement insuffisantes. Les convulsions de 1848 en sont la
démonstration : si le contenu idéologique des révoltes a pu rester assez incertain
pour une grande partie des Parisiens, ces derniers en ont profité pour s’insurger
contre la misère, les taudis, les épidémies qui dévastaient les chambrées. De
plus, la configuration du vieux Paris a facilité ces révoltes, l’érection de barricades,
et la résistance à la répression. Plus qu’un désir d’achever l’œuvre de son oncle
Napoléon Ier et de s’inscrire ainsi dans sa lignée, c’est
véritablement la volonté de combattre l’ensemble de ces pathologies qui anime
Louis Napoléon. Moderniser Paris, c’est combattre la misère et l’insalubrité,
mais c’est aussi éliminer les menaces qu’elles font courir : la menace de la contagion
épidémique, mais aussi, celle de la révolte.
L’ampleur des travaux,
la détermination des priorités et le coût des travaux n’ont pas permis de transformer
entièrement la ville. La rue Mouffetard est au cœur d’un quartier totalement épargné
par ces travaux, un quartier où les stigmates de la modernisation s’arrêtent rue
Monge, rue Claude Bernard, rue Soufflot, et au sud, au début de l’avenue des Gobelins.
Le quartier se dressera donc comme une réminiscence du Paris d’avant 1848, porteur
de lourdes pathologies et de menaces pour les classes dominantes.
La réalisation des
travaux et le résultat de la modernisation de Paris ne reviennent pas directement
à Louis-Napoléon. Cependant, ce dernier a eu le mérite d’imposer une politique
urbanistique volontariste, et de choisir des hommes compétents pour mener cette
tâche à bien. C’est sur le personnage d’Haussmann que se focalise toute la responsabilité
du processus, et c’est encore lui qui en endossera les louanges et les critiques
sévères. Georges-Eugène Haussmann est en effet nommé Préfet de la Seine en 1853,
avec des pouvoirs considérables pour réaliser les desseins de l’Empereur, dont
il la faveur pendant une dizaine d’années. L’esthétique d’Haussmann est essentiellement
classique : les tracés des grandes avenues rectilignes, le goût pour la symétrie,
l’équilibre mathématique entre la hauteur des immeubles et la largeur des rues,
sont autant de témoignage d’un classicisme sans faille.
La
première grande tâche qu’il entreprend est le percement de la croisée de Paris,
le fameux “ premier réseau ”, à savoir le boulevard Saint-Germain comme
axe Est-Ouest, et les boulevards Saint-Michel et Sébastopol comme axes Nord-Sud.
Le percement du boulevard Saint-Germain permit de pallier à l’insuffisance de
la rue des Ecoles que Louis Napoléon avait fait percer dès son arrivée au pouvoir,
mais qui s’avérait être trop éloignée du centre. Un tel axe horizontal ne put
être percé rive droite dans le prolongement de la rue de Rivoli en raison de la
présence du Palais Royal et du quartier du Marais qu’il aurait fallu raser, mais
qui abritait encore bon nombre d’aristocrates que le Préfet ne voulait pas tourner
contre le régime.
L’axe Nord-Sud est
en revanche une des plus grandes réussites d’Haussmann. Il a permis une traversée
totale de Paris, de la Villette à ce qui est aujourd’hui la place Denfert-Rochereau.
Mais ce premier réseau, aussi réussit fut-il, ne suffisait pas à désenclaver Paris.
Haussmann s’attela à créer un réseau qui encerclait le vieux Paris, en perçant
les boulevards de Port Royal, Saint-Marcel, Voltaire ... Ce “ second réseau ”
permettait une meilleure communication entre les faubourgs et le centre de la
ville, et entre les gares, même si ce deuxième objectif n’a été que partiellement
atteint.
L’œuvre d’Haussmann
ne saurait être réduite au percement de ces grands boulevards, aussi fondamentaux
soient-ils. Le baron tenait à remédier à l’ensemble des pathologies dont souffrait
la capitale, celles qui justement ne cessaient de surprendre Fanny Trollope pendant
son voyage. Ainsi, Haussmann se préoccupa de la question de l’eau dans la capitale.
Le problème de l’eau était double : celui de l’approvisionnement, et celui de
l’évacuation des eaux usées. De nouveaux aqueducs furent construits et un réseau
performant d’égouts fut constitué, rejetant les eaux usées en aval de la Seine,
aux environs d’Asnières. De même, l’approvisionnement alimentaire de Paris fut
complètement refondé. Les anciennes Halles centrales furent détruites pour être
remplacées par celles de Baltard. D’autres marchés couverts furent édifiés dans
différents quartiers pour soulager un peu ce que Zola appela le Ventre de Paris,
notamment le marché des Patriarches, juste derrière la rue Mouffetard.
L’ensemble
de ces réalisations s’avérèrent très coûteuses. A partir du début des années 1860,
les difficultés financières ne cessèrent de s’aggraver, ralentissant ainsi les
travaux et amenant le baron Haussmann a revoir ses ambitions à la baisse. La bonne
gestion financière des travaux fut bientôt mise en question avec virulence. Notamment
par l’opposition républicaine incarnée en la figure de Jules Ferry qui publia
une véritable diatribe, Les Comptes fantastiques d’Haussmann.
Le bilan de l’œuvre
d’Haussmann est donc mitigé. La ville a remédié à la plupart de ses maux, elle
est sortie d’un moyen-âge urbanistique, et elle est citée en modèle dans toute
l’Europe. Pourtant, de nombreux problèmes subsistent. D’autres ont même été générés
par le processus de modernisation. Les travaux ont en effet aggravé les disparités
sociales entre quartiers riches et quartiers pauvres, entre Paris et sa banlieue,
entre la rive droite et la rive gauche. La ségrégation verticale, les riches occupant
les premiers étages des immeubles et les pauvres résidant sous les combles, vit
s’ajouter d’autres types de ségrégations : la splendeur des façades contrastant
par exemple avec la misère des cours intérieures ; la splendeur des boulevard
bien éclairés face aux ruelles sombres et sinueuses du quartier Mouffetard ;
le luxe des cafés-concerts renommés dans l’Europe entière face aux immondes bouges
de la rue Mouffetard. La distinction croissante qui s’effectue entre les deux
Paris, le Paris de la mode et le Paris prolétaire, s’avèrera plus tard une des
grandes erreurs du régime. En 1830 déjà, le Préfet Chabrol avertira Charles X
sur le danger de laisser se constituer deux peuples, et d’opposer de manière si
criante Paris et ses faubourgs :
« Sire, c’est
la corde qui nous étranglera un jour. Les barbares qui menacent la société sont
dans les faubourgs de nos villes manufacturières ». Un député de la Creuse
lancera un avertissement devenu fameux : « les barbares qui menacent
la société sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières, et non dans
une lointaine Tartarie » [9]
.
Les différentes convulsions de Paris au XIXème
ne sont en effet pas totalement étrangères à cette distinction sociale croissante
dans l’espace parisien. Il est intéressant de noter que les barricades de 1871,
s’élèveront à peu près aux mêmes emplacements que celles de 1848, preuve d’un
échec certain des visées stratégiques des percées d’ Haussmann.
Ainsi,
Haussmann n’est pas parvenu à éradiquer totalement les menaces du Paris populaire.
En plus des communes annexées en 1860, qui augmentent fortement la population
misérable de Paris, certains vieux quartiers sont restés écartés de la modernisation.
La rue Mouffetard, comme l’ensemble de la Montagne-Sainte-Geneviève, a en effet
été curieusement épargnée par le processus. Certains diront qu’Haussmann n’a pas
voulu balayer ce Paris populaire de l’est, seulement le fragmenter et l’isoler
par la construction des grands boulevards.
En évoquant le quartier Mouffetard des années
1860, Marcel Brongniart, historien de la paroisse Saint-Médard écrivait :
« Notre antique
faubourg Saint-Marceau n’aura cependant pas perdu tout son pittoresque, car ces
voies nouvelles laissent provisoirement intactes la rue Mouffetard, qui est la
plus ancienne et qui reste, maintenant encore, mais pour combien de temps, si
évocatrice du Vieux Paris ».
[10]
Les
limites de l’œuvre du Baron Haussmann peuvent se lire en effet dans la situation
du quartier Mouffetard. Il faudra attendre les années 1950 pour mettre un terme
à l’insalubrité du quartier. Les descriptions dont il a été l’objet ne cessent
de nous renvoyer aux descriptions du Paris du début du XIXéme. Sans entrer pour
le moment dans l’évocation de l’état du quartier dans la seconde moitié du XIXème,
il est intéressant d’étudier les images qui entourent le quartier et qui le placent
en opposition à la ville moderne.
« Amarré à la
Montagne-Sainte-Geneviève, le pays Mouffetard forme un récif escarpé, réfractaire,
contre lequel viennent se briser les grandes vagues du Paris nouveau(...). Elle
est incrustée à la ville comme un parasite plantureux. » [11]
Il est difficile
de comprendre pourquoi le quartier a été
ainsi épargné, contourné, évité, isolé. Car s’il n’a pas été directement transformé
par les grands travaux, ces derniers ont agi sur lui en l’isolant, en l’encerclant.
S’agissait-il d’isoler un quartier potentiellement dangereux, ou de laisser au
contraire s’y concentrer tous les dangers de la ville pour mieux les identifier,
et mieux les contrôler?
Il faut noter que
la rue Mouffetard a été amputée de sa plus grande partie, devenue l’avenue des
Gobelins, qui s’étendait jusqu’à la barrière d’Italie. Mais c’est le seul grand
changement qui affecta le quartier. La rue Mouffetard rappelle donc sans cesse
le Paris d’avant le Second Empire, dressant ainsi les limites du processus mené
par Haussmann. L’image du parasite, de la gangrène évoque bien la situation
d’un quartier sordide au cœur de la ville moderne, qui rompt avec la symétrie
des bâtisses haussmanniennes et semble être une menace pour le pouvoir en place.
L’idée
d’une résistance de ce vieux Paris est évoqué par Louis Berger, qui écrit en 1854,
au début des grands travaux :
« Seul au milieu
de cette rénovation incessante, le quartier Mouffetard semble pétrifié dans sa
rouille gothique; il représente encore de nos jours, dans une foule de détails,
la physionomie du vieux temps de notre histoire; et par je ne sais quelle mystérieuse
puissance, ce coin de Paris combat et repousse cet envahissement invincible qui
emporte ailleurs les vieilles mœurs, les vieux usages et les vieux logis. » [12]
Ou
encore, pour insister sur l’identité et la permanence du quartier à travers les
siècles:
« Nous
avons décrit l’aspect des ruelles et de la rue Mouffetard au Moyen-Age; maintenant,
pour tracer le tableau que ce quartier présente de nos jours, il nous suffira
de peu de changements; quelques touches suffiront pour amener notre peinture à
son état actuel ». [13]
En
1854, alors que Paris se transforme en Ville Lumière et devient un modèle
d’urbanisation, le quartier Mouffetard reste dominé par son caractère moyenâgeux.
D’une toute autre manière, Georges Caïn, le promeneur de Paris, montre à quel
point, en 1910, le quartier Mouffetard diffère du Paris haussmannien. Subsiste,
entre ces ruelles noires évoquées par Rousseau et demeurées inchangées depuis
lors, un Paris campagnard, un fragment de la ville qui rejette la modernité :
« Au numéro
10 [ de la rue de l’Epée de Bois], entre un marchand de vin et une fabrique de
couronnes funéraires, apparaît une sorte de cour de ferme, un simulacre de campagne
demeuré en plein Paris : des pigeons roucoulent et font la roue sur un vieux pigeonnier
bas que surmonte un toit de tuile ; des lilas, des acacias, des iris verdissent
prés d’un tonneau où boivent les canards ; des fleurs s’épanouissent dans un carré
de terre où picorent les poules, un coq lance son strident cocorico, deux chats
dorment en boule devant des écuries d’où l’on s’étonne de ne pas voir sortir de
grands bœufs roux ».
[14]
II-
UN QUARTIER SORDIDE ET INSALUBRE
A- Le délabrement du quartier
Au-delà des comparaisons
et de l’opposition au nouveau Paris, il convient maintenant de se pencher sur
la physionomie du quartier, caractérisée par son délabrement, sa misère et son
insalubrité, ces maux que le Second Empire n’est pas parvenu à éliminer. Ce sont
ces maux qui forgent l’identité du quartier et qui frappent ses visiteurs, construisant
ainsi l’image du quartier autour de ses pathologies. Une ardeur particulière est
mise en oeuvre pour décrire les odeurs nauséabondes du quartier, cette rhétorique
de la pestilence revenant dans la plupart des descriptions comme un leitmotiv.
Un des éléments les
plus caractéristiques de l’état du quartier est en effet l’état de délabrement
dans lequel il est plongé. La photographie qui commence lentement à s’affirmer,
retranscrit parfaitement l’état des îlots du quartier, notamment les clichés du
grand photographe de Paris, Eugène Atget. Mais les descriptions littéraires du
quartier sont tout aussi éloquentes, leurs auteurs semblant se complaire dans
l’évocation de ce Paris pittoresque.
La rue Mouffetard est demeurée jusqu’aux années
1950, une vieille ruelle étroite et pauvre. L’habitat y est très défectueux. Les
maisons s’entassent les unes sur les autres, les cours y sont exiguës, les entrées
mesquines. Adeline Daumard s’est penchée sur la question de la propriété dans
le Paris du XIXème. Elle explique l’état de délabrement du quartier par le fait
que les propriétaires n’éprouvaient pas la nécessité d’investir pour des locataires
qui ne pouvaient prétendre à la moindre exigence, vu leur situation financière
et sociale
[15] . Aussi, les propriétaires de ces vétustes
bâtisses, profitent du manque d’exigence des locataires pour tirer un maximum
de profits : les logements étaient divisés en pièces exiguës où s’entassaient
les ouvriers ou les journaliers qui ne faisaient d’ailleurs qu’y dormir. Paul
de Kock, dont les nouvelles et romans prennent souvent pour décor Paris et constituent
par la même d’excellentes sources pour l’historien de Paris, situe une de ces
nouvelles rue Mouffetard :
« Dans
une vieille maison de cette rue, où il y en a peu de neuves, entrez dans une allée
sombre, longue et souvent crottée, vous apercevrez ensuite ou plutôt vous sentirez
en tâtonnant un escalier à rampe de fer; montez bravement, car il faut une sorte
de bravoure pour se risquer dans un escalier glissant et où l’on ne voit pas clair;
montez trois étages, parvenu là, vous commencerez à y voir un peu ». [16]
Tout est présent dans cette brève description
d’un immeuble : l’ancienneté de la rue, la pénombre dans laquelle l’habitat est
plongé, la saleté, la bravoure que nécessite la fréquentation de ce type de logement.
Cette bravoure est partagée par une population qui est la seule à pouvoir endurer
de telles conditions, et qui est de plus en plus nombreuse à devoir s’en contenter.
Les travaux d’Haussmann ont en effet accru les coûts fonciers, engendrant une
hausse des loyers. Seuls les quartiers comme la rue Mouffetard restent abordables
pour les classes laborieuses. C’est ce phénomène que dénonce Emile Zola, alors
journaliste à La Tribune:
« Ce n’est par
pour [les ouvriers] qu’on assainit la ville; chaque nouveau boulevard qu’on perce
les rejette en plus grand nombre dans les vieilles maisons des faubourgs [Saint
Antoine ou de la rue Mouffetard] ».
[17]
Ces habitations d’un autre âge contrastent encore
avec l’esthétique haussmannienne souvent taxée de monotonie et d’uniformité. La
rue Mouffetard présente les caractères de chaque époque, dans un ensemble éclectique,
mêlant ainsi « l’armature inchangée d’une maison du Moyen-Age, le staff prétentieux
d’un médiocre fronton Empire, la grâce d’un balcon Louis-quinzième, et l’insolence
d’un meublé en gré-cérame turquoise... » [18]
. Une telle diversité et une telle ancienneté
expliquent l’évolution de ces habitations vers le taudis. L’Illustration,
dans un article sur la plèbe italienne de Paris, qui se loge principalement
dans le quartier Mouffetard, évoque l’habitat du quartier en 1903 :
« Une grande
maison faubourienne, une façade morne, d’un gris pisseux, zébrées de lézards,
un seuil obstrué de marmots à la frimousse pain d’épice mal débarbouillé, un couloir
obscur, suintant l’humidité, un escalier vermoulu » ou encore, « je
pénétrai dans un de ces intérieurs d’artistes : logements délabrés, sordides,
garni de meubles éclopés »
[19] .
La similitude des
images qui ressortent de l’ensemble de ces descriptions, ainsi que les divers
témoignages photographiques ne laissent guère de doute sur l’état de ruine du
quartier. Notons toutefois, pour nuancer, que Berger avoue la présence de logements
« coquets et commodes où se prélassent de petits bourgeois » [20]
. En
examinant les photographies du quartier on relève tous les symptômes d’un quartier
pré-haussmannien : les fenêtres ne sont pas alignées, les immeubles n’ont pas
la même taille. Les façades des immeubles semblent décrépites au plus haut degré,
rien de très petit-bourgeois dans ces îlots. On remarque aussi souvent
la présence de voitures à bras, des chariots de chiffonniers. Souvent, les façades
sont encore habillées de planches de bois.
La consultation des
archives de la Préfecture de Police
[21] permet
d’observer la fréquence des incendies ou de débuts d’incendie dans le quartier.
Cette propension des logements à s’enflammer est un signe de l’inadaptation de
l’habitat (vétuste, en bois), à l’entrée progressive d’équipements modernes (gaz,
électricité) dans les logements. La consultation de ces archives, permet également
d’observer le nombre de procès-verbaux adressés par la police pour des travaux
de garnis non effectués et des logements ne correspondant pas aux normes d’hygiène
et de sécurité requises. A cet état de ruine, de délabrement vient s’ajouter le
poids de l’insalubrité.
C’est un des maux
les plus dévastateurs de l’urbanité du XIXème. Ses conséquences premières
sont les épidémies et le développement de tous les types de maladies contagieuses.
On connaît les effets du choléra à Paris en 1832 et en 1849. L’humidité, la saleté,
le manque d’hygiène sont autant de vecteurs de ces maladies qui continuent à décimer
la population des quartiers populaires, et en particulier celle du quartier Jardin
des Plantes, où se trouve la rue Mouffetard. Le compte-rendu des séances du conseil
d’hygiène de la Préfecture de Police
[22] , signale encore 80 cas de typhoïde,
10 cas de variole, 23 cas de scarlatine, et 21 cas de diphtérie et d’angine couenneuse
pour l’année 1900. Henri Bonnet note, en 1908 :
« [L’arrondissement
compte] 30 000 logements de deux pièces au plus, situés le plus souvent dans des
constructions fort anciennes, pressées les unes contre les autres qui sont autant
de défis portés aux plus élémentaires principes de l’hygiène publique. » [23]
Un autre Bonnet, et celui-là se prénomme Louis,
s’étonne du nombre de maladie et du taux de mortalité qui frappent ses compatriotes
limousins. Ceux-ci, qui sont « d’ordinaire si robustes », ne résistent
pas à l’insalubrité du quartier Mouffetard, où ils se sont regroupés. [24]
Louis Bonnet, docteur de son état, explique
ce phénomène par la physionomie du quartier, où le taux d’ensoleillement est particulièrement
faible, où la présence de fumées est constante, les brouillards fréquents et les
espaces-verts inexistants. Il pointe aussi « l’action néfaste de l’humidité,
entretenue par l’obscurité et le manque de renouvellement de l’air, qui favorise
de nombreux bacilles, ceux de la diphtérie et ceux de la tuberculose ».
L’entassement dans les logements facilite aussi
selon lui, la propagation des virus et des épidémies. L’insalubrité du quartier
est encore accentuée par la présence de la Bièvre, une rivière qui traversait
le quartier Mouffetard pour aller se jeter dans la Seine. Si elle amenait de l’humidité,
la Bièvre n’était pas une rivière naturellement polluée. C’est plutôt l’usage
qu’en faisait les ouvriers du cuir, qui a fait de la rivière un véritable cloaque.
Tout le long de la rivière, tanneurs, et cordonniers lavaient les peaux, les faisaient
tremper, faisant de la Bièvre un réceptacle de sang et de débris de chairs animales.
Ces quelques exemples témoignent encore de l’échec
des tentatives de nettoyage et de purification de Paris, menées par les autorités
du Second Empire sous l’influence de la bourgeoisie hygiéniste du XIXème. L’insalubrité
règne toujours dans les quartiers populaires, et la police doit veiller à l’internement
des populations contaminées pour éviter la propagation des virus dans les beaux-quartiers.
B- Odeurs et atmosphères du quartier
populaire
Si
l’insalubrité est un des éléments constitutifs de l’image du quartier, ses odeurs
sont également fondamentales aux yeux des observateurs. Durant l’été 1880, l’ensemble
de la population parisienne s’émeut de l’air vicié qui s’est emparé de la capitale.
Les journaux s’interrogent, les autorités s’en inquiètent, mais le phénomène semble
trouver son explication dans la puanteur des quartiers pauvres et des faubourgs,
diffusée dans le reste de la ville. On pourrait d’ailleurs penser que la puanteur,
la pestilence sont en fait l’insalubrité poussée au plus haut degré, le stade
ultime de la décrépitude. Plus que l’odeur de la saleté, c’est celle de la putréfaction
qui semble régner dans le quartier : le quartier n’est pas seulement vétuste,
sale, enclin au plus grand désordre, il est pourri. Il y a quelque chose de pourri
dans le quartier Mouffetard. C’est d’ailleurs ici que le professeur Chevreul viendra
prélever des échantillons de boues « pris entre et sous les pavés de la rue
Mouffetard, prés du Pont aux Tripes ». Le professeur Eugène Chevreul collectionne
ainsi les boues parisiennes qui contiennent selon lui les germes de toutes les
infections et épidémies. Il ne débouchera ses échantillons que six ans plus tard
pour les flairer et les analyser [25]
.
Le quartier semble être déterminé à cette puanteur
: il semblerait que la pestilence soit inscrite à l’origine de son nom. En effet,
une querelle a toujours divisé les historiens de Paris ainsi que les auteurs des
multiples dictionnaires historiques des rues de Paris, sur l’origine du nom Mouffetard.
La première hypothèse explique l’origine de cet étrange
nom dans l’évolution du Mont-Cetardus
, qui devait désigner
en fait la Montagne-Sainte-Geneviève, vers Mont-Cétard , Mont-Fétard , ... jusqu’à
Mouffetard. Mais c’est la seconde hypothèse qui nous intéresse ici. Le
nom Mouffetard dériverait plutôt des moffettes ou mouffettes, miasmes
qui s’exhalaient des rivières parisiennes et de la Bièvre en particulier. Il y
a donc une certaine fatalité dans la puanteur du quartier puisqu’il elle serait
inscrite en son nom. Emile Zola, encore journaliste à La Tribune, parlant
des habitations sordides des ouvriers parisiens, les désignaient comme « les
trous pestilentiels de la vallée Mouffetard »
[26] .
On aurait pu penser
que Zola n’eut pas ce type de réflexes qui consiste à associer le pauvre et la
puanteur. Les études du Docteur Chevreul sont guidées par l’hygiénisme du siècle,
mais Zola n’a pas jamais eu de considérations particulièrement conservatrices.
Doit-on alors penser que la pestilence du quartier n’est pas seulement un construit,
un autre fantasme de l’hygiénisme bourgeois ? A peu prés chaque description littéraire
ou journalistique fait référence à l’odeur du quartier. Ces odeurs sont d’origines
diverses, mais elles ont toutes un point commun, elles sont nauséabondes.
Ainsi, on a tantôt, « d’âcres relents de
cuisine à l’ail et à l’oignon mêlés d’autres senteurs d’une fadeur caractéristique.
Dame! ça ne fleurait ni les violettes de Parme, ni les orangers de Capri » [27]
, pour décrire les odeurs qui s’échappent
des cuisines des Italiens de la Mouffe. D’autres s’étonneront plutôt des insupportables
odeurs du marché Mouffetard, comme Octave Charpentier qui dénonce « l’odeur
des friteries aux graisses nauséeuses, des fromages mûrs aux multiples pestilences » [28]
, ou encore « tout cela empoisonne
l’acide sulfurique, le hareng- saur et le chou-fleur »
[29] .
L’ensemble du quartier
est donc touché par ce fléau : des sphères les plus intimes comme l’intérieur
des garnis ou les cuisines, jusqu’au domaine public comme le marché, les pavés
ou la rivière qui le borde. Henri Bonnet, toujours préoccupé d’hygiène publique
note au sujet de la Bièvre que « l’odeur dont elle emplit l’air a écarté
depuis longtemps les délicats »
[30] . Bonnet met ici en évidence un point
important de l’omniprésence de la puanteur dans le quartier. Encore une fois,
seules les classes populaires peuvent endurer ces attaques olfactives, « ce
perpétuel outrage des sens », même si la puanteur n’a disparu des beaux-quartiers
qu’à la fin du XIXème siècle. Ainsi, pour ces derniers, la puanteur n’est pas
seulement la puanteur du quartier, mais surtout la puanteur de ses habitants.
Dans l’imaginaire bourgeois, l’odeur des quartiers pauvres est avant tout l’odeur
du pauvre.
Dans une étude sur l’odorat et l’imaginaire
social, Alain Corbin a bien stigmatisé ce phénomène :
« La prise de
conscience de la différenciation croissante de la société, de la complication
de l’étagement culturel invite au raffinement de l’analyse olfactive. L’odeur
de l’autre se trouve promue au rang de critère distinctif ». [31]
Pour illustrer l’émergence de l’odeur comme
critère distinctif, Corbin cite dans son ouvrage une analyse anglo-saxone sur
le goût et l’odeur dans l’œuvre de Balzac. Cette analyse montre la manière dont
Balzac emploie une ardeur extrême dans ses romans, pour distinguer l’odeur émise
par le bourgeois de celle des petits-bourgeois, celle des paysans ou encore des
gens du monde. A chacun son parfum, à chaque quartier son odeur. Les bourgeois
se sont acharnés à refuser l’odeur, rappel toujours désagréable à leurs yeux de
l’animalité de l’homme. Pour ce faire, ils ont en quelque sorte rejeté ou projeté
celles-ci sur le pauvre. Ce sont les classes laborieuses, au premier rang desquelles
la domesticité, qui endossent les odeurs du bourgeois, en assumant les tâches
les plus viles, comme celle de l’évacuation de l’excrément.
L’image
parfaite du pauvre puant est celle du chiffonnier, dont on verra plus loin l’importance
dans l’identité du quartier. La figure du chiffonnier obsède les conseils de salubrité,
il concentre en effet les « effluves nauséabondes de l’excrément et du cadavre » [32]
, les effluves du déchet et de la pourriture.
La commission sanitaire du Jardin des Plantes s’effraie du manque d’hygiène
des chiffonniers :
« [Les chiffonniers
sont] chargés des différents produits recueillis dans les immondices de la capitale,
et dont l’odeur fétide paraît tellement identifiée avec leur personne, qu’ils
ressemblent eux-mêmes à de vrais fumiers ambulants. Peut-il en être autrement,
d’après leur genre d’occupation dans les rues, le nez constamment au-dessus des
fumiers »
[33] .
Entre sa crasse,
ses odeurs et sa misère, la rue Mouffetard offre au promeneur un spectacle bariolé
et bruyant. Les différents guides insistent sur ce point qui fait le charme et
le pittoresque de la Mouffe. C’est d’ailleurs cette image que les commerçants
du quartier essaient de perpétuer aujourd’hui ou plutôt de faire revivre, conscients
de l’impact touristique du pittoresque de la rue.
Une des champs lexicaux
utilisés pour décrire l’atmosphère populaire du quartier est celui de l’abondance,
de l’encombrement, de la foule. Le quartier Mouffetard n’est pas seulement un
parasite pour Paris, comme on l’a vu plus haut, c’est aussi un parasite plantureux,
pour reprendre l’expression de Georges Duhamel. On y trouve tout : des marchands
de vin, des traiteurs, des rôtisseurs, des restaurants, des laiteries, des boucheries
ordinaires et mêmes hippophagiques ( que ne cessent de mentionner les auteurs
de guides, comme si seul un tel quartier pouvait abriter ce type d’établissements).
« Plutôt qu’une rue, nous dit Billy, la rue Mouffetard est une foire permanente »
[35] . D’autres, comme Charpentier, voient
dans ce tumulte, cette abondance, beaucoup de similitude avec les souks des villes
du Moyen-Orient. Cette référence à l’Orient constitue un stéréotype très classique
au XIXème.
M.M.,
ce Parisien de Paris, comme il se nomme lui-même sur la couverture de son
fascicule, écrit son amour pour l’atmosphère fiévreuse de la rue Mouffetard :
« Comme il est
des rues sans joie, il est aussi des rues d’exubérance et de liesse, où chaque
pavé semble rire, où le soleil aime à s’attarder, où toutes les rumeurs de la
vie s’enchevêtrent et se juxtaposent en harmonies joyeuses : la rue Mouffetard
est de celles-ci ». [36]
On peut s’étonner de cette référence au soleil,
quand on a vu plus haut que beaucoup d’hygiénistes voyaient dans son absence une
des causes de l’insalubrité du quartier, et du nombre de contagions épidémiques
qui en découlait. M.M. parle même de l’allure colorée de la rue, allant contre
toutes les images du quartier noir et sordide :
« C’est
que la vieille rue sait bien qu’au-delà de toutes les lignes, au-delà de tous
les canons esthétiques, il y a pour faire surgir la beauté et faire naître nos
émotions, quelque chose qui supplée à toutes les défaillances et qui s’appelle:
la couleur. La couleur, elle en ruisselle la vieille rue! C’est par son miracle
quotidiennement renouvelé qu’elle vibre, chante et nous émeut ».
[37]
Dans l’esprit de M.M., la couleur de la rue
est plus celle de la diversité que celle de l’éclat de la lumière. La couleur
du quartier est une manière de souligner le contraste avec la monotonie des quartiers
bourgeois à l’architecture uniforme, où règne la symétrie. Il s’oppose aussi à
l’uniformité des mœurs, des usages, et des codes vestimentaires bourgeois. Le
bruit va de paire avec cette foule colorée « et le vacarme qui en résulte,
est guttural, pituiteux et bavochant » nous dit encore M.M., « un camelot
hurle pour un sou les chansons complètes de Béranger avec accompagnement de piano »,
nous raconte Caïn [38]
.
Pourtant, dans Le Père Goriot, un des
rares romans d’Honoré de Balzac qui ait une attache dans un quartier populaire.
Le quartier est décrit comme un quartier calme, voire ennuyeux
[39] . On connaît la liberté que s’octroie
Balzac dans ses romans, mais faire d’un quartier particulièrement agité, un quartier
résidentiel un peu trop calme, paraît étonnant. On pourrait alors penser que les
ruelles avoisinant la rue Mouffetard, dont la rue Neuve-Sainte-Geneviève (aujourd’hui
rue Tournefort), qui abrite la Pension Vauquer, étaient effectivement des lieux
calmes, malgré leur voisinage avec la foire bruyante et bariolée de la rue Mouffetard.
Ainsi, les rues de l’Arbalète, des Postes ( aujourd’hui rue Lhomond), de l’Epée-de-Bois,
Lacépède étaient probablement relativement calmes, comme elles le sont effectivement
aujourd’hui malgré le vacarme constant de la rue Mouffetard.
En cela, la rue Saint-Médard
était plus proche de la rue Mouffetard. Non seulement elle était une des rues
les plus délabrées et malsaines du quartier, mais elle était également le théâtre
d’un chaos permanent : les jours chômés particulièrement, quand le marché
au puce s’installait sur les pavés de la rue Saint-Médard, rassemblant ainsi toute
la plèbe parisienne, en quête de bonnes affaires. Des cartes postales d’époque
montrent bien la ruelle étroite, grouillante, encombrée de cette multitude miséreuse.
« On tombe en
pleine agitation populaire: une foule affairée se presse, se bouscule, s’entrecroise,
s’interpelle. Une mignonne fillette, dont les cheveux d’or tire-bouchonnent sur
les tempes, tend aux passants des paquets de soucis jaunes et d’asters violets
(...); des chiens fouillent les ordures amoncelées dans les ruisseaux; le pied
glisse sur des feuilles de choux, le sol est jonché de papiers gras et d’épluchures(...);
Les voitures évitent de s’engager sur la pente raide qui débouche sur la place
grouillante de monde : c’est l’entrée de la rue Mouffetard. » [40]
Terminons cette évocation
de l’atmosphère pittoresque de la rue Mouffetard par un texte de Billy,
en 1909, qui laisse entrevoir l’ambiance de la rue :
« A
mesure qu’elle descend, la rue Mouffetard s’incline davantage et devient plus
populeuse. C’est que de la rue de l’Arbalète à la rue Censier se tient un marché
que les gens du quartier ont dénommé ‘marché pouilleux’; il s’y vend d’incroyables
choses. Le prix d’une paire de bas est de cinq centimes, et elle est fort proprement
reprisée; rien ne pourrait faire croire qu’elle a été cueillie dans un tas d’ordures. » [41]
L’ambiance de la rue, ses joies, ses cris, ne
doivent pas pour autant faire oublier sa physionomie réelle. Plus que cette ambiance
populaire joyeuse, c’est quand même l’insalubrité de la rue, son délabrement qui
priment dans les évocations littéraires du quartier. Il ne faut pas oublier que
c’est dans le quartier Mouffetard que s’est installée la fameuse sorcière, figure
que l’on allie avec la saleté, la ruine, l’obscurité. La localisation d’une telle
figure littéraire dans le quartier n’est pas un hasard. Même s’il elle est récente,
la sorcière de la rue Mouffetard atteste de la puissance de l’image du quartier.
La Mouffe, au regard de l’ensemble des images
qu’elle endosse, apparaît comme un quartier étrange : le lieu populaire par excellence,
une réminiscence du Paris d’antan, rebelle à une modernisation qui signerait l’extinction
de cette foule en liesse. Il ne faut cependant pas oublier que cette masse populaire
est avant tout une masse misérable, dévorée par la pauvreté, souffrant d’un manque
d’hygiène évident, qui se ressent dans ses odeurs et les effets dévastateurs des
épidémies dans le quartier. Le quartier Mouffetard, même s’il étonne et intrigue
les auteurs de guides, les chroniqueurs de Paris, est avant tout le symbole de
l’échec des efforts de modernisation entrepris par le Second Empire.
CHAPITRE 2: L’ETRANGE PEGRE DE LA MOUFFE
A
la physionomie urbaine malheureuse du quartier Mouffetard, vient s’adosser, selon
une mécanique qui paraît inéluctable, le poids d’une population hétéroclite et
singulière. Les travaux d’Haussmann ayant fait explosé les coûts fonciers dans
le Paris rénové, et par-là même le prix des loyers, la misère parisienne se rassemble
dans ces trous pestilentiels que décrivait Zola, dans les bouges infâmes
du quartier Mouffetard, où le défaut d’urbanisme a laissé se perpétuer la misère
et la pauvreté.
Le quartier est ainsi
devenu une sorte d’asile pour les misérables, qui partagent une même misère sans
réellement l’échanger. Mais si la misère se vit en commun, elle n’est pas pour
autant partagée entre ses diverses composantes de la population du quartier. Les
différents groupes ont une identité propre très forte, et restent repliés sur
eux-mêmes, formant ainsi autant de microcosmes. Les deux plus fortes communautés,
indissociables de l’image et de l’identité du quartier, sont celle que forment
les Limousins, et celle formée par les chiffonniers.
Le reste de la population du quartier est un
ensemble hétéroclite, qu’il conviendrait d’appeler, comme c’était la mode à l’époque
pour désigner tous les phénomènes marginaux, la bohème. La bohème de la
Mouffe n’est pas celle du quartier latin, celle que Léon Paul Fargue
[42] s’est tant usé à écrire, dont la figure
emblématique pourrait être le baron de Ghérardine, aristocrate devenu clochard
après avoir renoncé aux honneurs en distribuant dans la rue toute sa fortune,
ami du bock de bière, des ponts et des poètes, et compagnon de route de Verlaine.
Non, la bohème de la Mouffe est tout autre,
c’est bien une bohème misérable, qualificatif dont le quartier n’arrive pas à
se défaire. La bohème du quartier est plus celle que Robert Darnton qualifie d’
« excrément de la littérature ». Les poètes du quartier écrivent dans
le langage populaire, ses peintres ne sont que des caricaturistes ou des croqueurs
de portraits, et ses musiciens sont des chanteurs de rues. Le roman populaire
d’Hector Malot, Sans Famille, décrit bien cette bohème du quartier, avec
ses troupes d’émigrés italiens, combattant la misère en faisant « pousser
la chansonnette » à des gamins aux genoux égratignés.
I- LE GHETTO DE LA COLONIE LIMOUSINE
A-Un Paris provincial
« L’histoire
de la formation de la population parisienne pendant la première moitié du XIXème
siècle, c’est en effet l’histoire de l’immigration à Paris »
[43] . Certes,
dans la seconde moitié du XIXème, le phénomène ne fait que se prolonger,
mais il n’en reste pas pour autant moins pertinent. L’immigration provinciale
n’est plus uniquement une migration proche, comme c’était le cas à la fin du XVIIIème
et au début du XIXème. Par migration proche, il faut entendre
l’attraction que les chef-lieux de région exerçaient sur les campagnes avoisinantes.
L’émigration provinciale à la fin du XIXème est essentiellement tournée
vers les grandes villes, au premier plan desquelles, Paris. Or, la plus grande
partie de l’émigration vers Paris restant une migration temporaire, Paris reste
globalement assez provincial jusqu’aux début du XXème siècle.
Les émigrés conservent et cultivent en effet
le souvenir de leurs campagnes, avec toujours l’objectif de s’y réinstaller définitivement
dans leurs vieux jours. Paris est avant tout à leurs yeux le moyen de s’arracher
à la misère qui dévaste les campagnes, et éventuellement de réussir une ascension
sociale. C’est bien plus souvent une autre misère qui les attendra, une misère
urbaine, différente de celle des campagnes, qui n’est pas pire, mais certainement
pas meilleure. Les migrants sont obligés de s’entasser dans ces garnis infâmes
; ils ne trouvent pas toujours du travail, et nombreux sont les jours chômés contre
leur gré. La vie à Paris est coûteuse et les occasions de dépenses bien plus nombreuses
qu’à la campagne. Il n’est pas toujours aisé d’envoyer l’argent promis à la famille
restée au pays, ce qui est d’autant plus grave que ces dernières placent beaucoup
d’espoirs dans celui des leurs qui est monté à Paris.
L’intégration à la ville est donc d’abord une
intégration au sein de ces communautés d’originaires d’une même région. La fréquentation
des siens et le repliement de ces communautés sur elles-mêmes permettent de faire
oublier l’éloignement du pays. C’est véritablement ce petit peuple d’origine provinciale
qui constitue l’ossature de la population parisienne : c’est lui qui permet
aux quartiers riches de vivre dans un tel confort. A ce titre, il faut également
noter que la population du noble Faubourg, à savoir le Faubourg Saint-Germain,
était majoritairement provinciale, délaissant ses propriétés de Province pendant
l’hiver pour profiter des joies de la vie parisienne. Ainsi, le peuple parisien
est en voie de formation, et conserve pour sa majeure partie, des caractères très
provinciaux.
Plus qu’aucun autre
à Paris, le quartier Mouffetard a des relents provinciaux très appuyés. Avant
toute chose, le quartier Mouffetard a des allures de village : il possède sa paroisse,
l’église Saint-Médard ; son marché, dont on a vu plus haut qu’il ressemble plus
à une grande foire campagnarde ; sa boue, ses fermes et une population d’origine
campagnarde. On a vu aussi comment le quartier était replié sur lui-même, isolé
par les percées d’Haussmann. La hauteur des immeubles y est moins élevée que dans
le nouveau Paris. Le quartier possède en la rue Mouffetard un véritable centre
qui remplit un peu le rôle de la place dans les villages ou celui de la grand’rue.
Cet ensemble de caractères rompt l’anonymat qui règne dans le reste de la grande
ville. Tout concourt pour perpétuer le quartier comme un village parisien, comme
c’était le cas à la fin du XVIIIème et au début du XIXème, quand Paris était formé
d’une multitude de villages. N’oublions pas que le Bourg Saint-Médard n’a
été annexé à Paris qu’en 1724 seulement. Son identité citadine reste donc relativement
récente et le quartier conserve ainsi de larges traces de son autonomie. On a
évoqué plus haut la présence d’une fermette dans la rue de l’Epée-de-Bois qui
valait l’admiration de Caïn. La rue Mouffetard, comme elle rejette le Paris nouveau,
a aussi du mal à accepter l’urbanité.
L’origine et l’attitude
de sa population semble être un frein à cette urbanité : la très forte concentration
de Limousins autour de la rue Mouffetard, n’a pas incité ces derniers à se fondre
dans la population parisienne. Au contraire,
ils ne cessent d’affirmer leur identité limousine, seul rempart contre l’acculturation
qui les guette, et contre le désenchantement causé par l’éloignement du pays.
De cette présence résulte un caractère provincial très prononcé. L’argot de la
Mouffe se mêle d’expressions creusoises, des intonations limousines resurgissent
dans les petites ruelles qui bordent la rue Mouffetard. C’est cette profonde influence
de la colonie limousine qu’évoque le docteur Louis Bonnet, qui a étudié de près
la vie parisienne de ses compatriotes Creusois :
« Si un soir,
il vous prend la fantaisie d’aller errer parmi ces rues, vous y trouverez toute
une saveur de terroir. Par les portes entrouvertes des débits de boisson, vous
entendrez peut-être d’obsédantes ritournelles de faubourg nasillées par des phonographes,
mais aussi parfois des sons de vielle jouant des bourrées ou de mélancoliques
chansons patoises, des conversations échangées dans la sonore langue limousine. » [45]
Si malgré
leur émigration à Paris, les Creusois ont conservé intacte leur identité limousine
et campagnarde, c’est bien parce que dans leur esprit, cette migration était une
migration temporaire. Dans ses Mémoires, Martin Nadaud [46]
décrit bien le rythme saisonnier de
la migration
[47] . La seconde et la huitième strophes
de la Chanson des maçons de la Creuse, véritable hymne du Creusois émigré,
rendent bien compte du bonheur que représente
le retour au pays, et le déchirement de chaque nouveau départ pour Paris [48]
:
« Quand revient
le Printemps,
Ils
quittent leurs chaumières,
Laissant
leurs vieux parents,
Les
enfants et la mère.
On
voit le désespoir
de
la femme vertueuse
Lorsqu’elle
dit au revoir
Au
maçon de la Creuse.
Chez
nous pendant l’hiver,
Meilleur
temps de l’année,
Chacun
s’en va tout fier,
Avec
sa bien aimée;
Et
narguant la saison,
La
fille est bien heureuse
D’avoir
dans sa maison,
Un
maçon de la Creuse. »
Les quatre ou cinq mois d’hiver étant consacrés
au retour au pays natal, on reprend ses habitudes, on se re-familiarise avec les
traditions locales, on cherche aussi une épouse ; rares sont en effet les Creusois
qui épousent des Parisiennes, la tradition patrimoniale locale étant encore très
forte, s’exprimant notamment dans des stratégies de regroupement de parcelles.
Le mariage entre-soi est en effet vécu comme une nécessité pour accroître le patrimoine
familial. Paris est donc seulement perçu comme un lieu de travail provisoire,
et l’adaptation à la ville peut rester superficielle. La vraie vie des Creusois
se trouve au pays, où attendent les parents, les épouses, les enfants,
et les fermes. Un tel décalage de mode de vie insuffle donc au quartier un aspect
singulier par rapport au reste de la ville, mais singularise aussi les Limousins,
qui sont perçus, et parfois même se perçoivent comme des étrangers.
B- Les mangeurs de
châtaignes : des étrangers dans le quartier
Si les Limousins
s’efforcent de conserver leurs mœurs, leurs coutumes et leurs spécificité, la
ségrégation dont ils sont l’objet ne leur laisse guère le choix. Les Limousins
sont l’objet de multiples sarcasmes tout au long de la journée, de la part de
la population parisienne, et particulièrement des autres populations ouvrières
qui n’hésitent pas à les qualifier de mangeurs de châtaignes, qui voient
en eux des hommes rustres, inadaptés à la ville et hostiles à toute modernité.
Les ouvriers parisiens leur « reprochent de ne pas adhérer au compagnonnage,
de ne pas effectuer leur Tour de France, de refuser les sociétés de secours mutuels,
d’être trop peu prodigues, de se comporter en rustres, d’accepter d’ignobles conditions
de logement, et de se contenter d’une nourriture peu raffinée. »
[49]
En effet, les Creusois
semblent n’aspirer à d’autre que de gagner leur pain quotidien et dans la mesure
du possible un petit surplus à envoyer au pays. Le reste de la population ouvrière
parisienne est en pleine ébullition, aspirant à plus d’égalité, de meilleures
conditions de vie,... Pourtant, on a souvent expliqué la persistance très forte
des votes communistes ou apparentés dans le centre de la France, en Corrèze par
exemple, par l’immigration parisienne des Limousins au XIXème, rapportant au pays
les récits de la misère urbaine et les idées neuves. Aussi, le souvenir de la
dure vie des maçons à Paris reste encore très présent aujourd’hui en Creuse.
On se
souvient des rires et des moqueries que suscitait l’accoutrement de Daniel Eyssette,
Le Petit Chose, lors de ses premiers jours à Paris
[50] . Même son propre frère, résidant à Paris
depuis un certain temps ne pouvait s’empêcher de rire devant un assemblage aussi
singulier de guenilles. Pourtant, le Petit Chose était issu des classes moyennes
d’une petite ville du Languedoc. On peut alors imaginer le décalage crée par les
Creusois, quasiment tous d’origine campagnarde, et des campagnes les plus isolées
de la France. Cette altérité, conjuguée avec l’esprit de groupe et de solidarité
creusoise, évoluait le plus souvent vers des conflits avec les autres populations
ouvrières. Martin Nadaud évoque dans ses Mémoires l’affrontement de deux groupes
de maçons d’origines différentes, se retrouvant sur des chantiers voisins. La
référence à l’origine géographique était si forte que les regroupements se faisaient
même entre originaires des différents villages ou des différents cantons. Les
rivalités entre groupes creusois de villages différents étaient parfois encore
plus violentes qu’entre membres de différents corps de métier ou qu’entre Creusois
et Parisiens.
La citation d’Alain
Corbin faisait allusion plus haut, aux goûts alimentaires des Creusois ; à ce
titre, Martin Nadaud est encore un excellent témoin, racontant la difficulté des
Creusois à manger la nourriture que proposaient les estaminets où ils allaient
prendre leurs repas. Léonard raconte aussi qu’il n’avait pas été habitué à manger
de la viande :
« C’est
qu’en m’élevant chez nous ma mère ne nous avait nourri que de soupe, de pain,
de tourteaux [51]
, de pomme de terre et de bon laitage. » [52]
Même les horaires
des maçons se calquaient sur les horaires des paysans. Les maçons se lèvent tôt,
vers cinq ou six heures. Ils conservent aussi leurs habitudes vestimentaires portant
ainsi leurs souliers pieds-nus. Comme les travailleurs de la terre, la distraction
du Creusois est avant tout le repos. Les Limousins ne sont pas avides des plaisirs
et des distractions urbaines comme le sont les ouvriers parisiens.
« A l’issue du déjeuner, en attendant la
reprise du travail, les plus économes se contentent de fumer leur pipe ou de regarder
silencieusement couler la Seine. La visite au bal n’est le plus souvent
qu’une simple visite d’observation ». [53]
Alain
Corbin insiste aussi sur l’attitude méditative du maçon, calquée sur celle du
paysan limousin: « Silence collectif ponctué de proverbes. Cette humeur silencieuse,
tissée de résignation, voire de fatalisme rural, se retrouve sur le lit d’hôpital
; et c’est en taciturne que le maçon limousin attend la mort, au milieu de la
faconde des Parisiens malades »
[54] .
Plus qu’une permanence des mœurs rurales et
campagnardes, c’est la culture de la nostalgie qui entretient l’altérité des Limousins
de Paris. Souvent, dans les discussions de chambrées, lassés des propos sur le
maître ou le chantier en cours, les Limousins se laissent aller à des évocations
du pays, qui devient une sorte d’Eden et vers lequel convergent toutes les joies
: la famille, les amis, la terre, le silence, la propriété, les sociabilités villageoises
traditionnelles... Ce qui peut paraître plus étonnant, c’est l’attitude des maçons
quand ils rentrent au pays. Ils prennent en effet le plus grand soin à paraître
en Parisien, font attention à leur parler, prennent le soin de se faire
appeler monsieur. Martin Nadaud, lors de son premier retour au village,
avoue le besoin qu’il avait de se distinguer, de se montrer en Parisien
pendant son voyage, sur la route ou dans les auberges :
« On a de singulières
pensées sur son pays quand on l’a entendu calomnié par des esprits superficiels
et légers. Nous n’aurions plus voulu être pris pour des Limousins. Nous avions
tant peur de ne pas pouvoir assez nous distinguer que nous cherchions à transformer
notre prononciation. Parlez gras, ne pas avoir notre accent naturel, nous paraissait
le comble de la distinction. »
[55]
Par ce double mécanisme de rejet dont ils sont
l’objet et de leur refus de l’urbanité, les Limousins font donc bien figure d’étrangers
au vu du reste de la population parisienne. Cette altérité se projette évidemment
sur le quartier qui les héberge. Les Limousins, comme tous les migrants, inquiètent
les autorités par leur refus de se fondre dans un mode de vie urbain. Cette peur
est encore accrue nous dit Alain Corbin, par la difficulté de connaître cette
population, méfiante et hostile au recensement, et qui, de par le caractère temporaire
de la migration, semble encore plus difficile à contrôler.
Dans
une étude qui paraît aujourd’hui datée aux yeux de certains, Louis Chevalier croise
la fiction aux réalités sociales et démographiques de l’époque, et montre que
ces deux éléments sont plus concordants qu’on ne pourrait le croire
[56] . Comme Balzac, Hugo ou Eugène Sue pouvaient
le suggérer dans leur roman, Louis Chevalier explique la violence de la classe
laborieuse par son inadaptation à la ville. Pour Chevalier, les classes dangereuses
sont avant tout un peuple déraciné dans une ville dont la population augmente
de manière exponentielle A ce titre, les Creusois constituent donc une classe
suspecte, et donc un danger dans l’imaginaire parisien.
A contrario, Martin
Nadaud est le symbole de la réussite de l’émigration creusoise. Ses débuts ont
certes été difficiles, ponctués d’accidents, de chômage, de difficultés d’adaptation.
On connaît aussi les échecs financiers de la famille, le père ayant contracté
des dettes qui leur sera très difficile de rembourser. Pourtant, Nadaud, contrairement
à la plupart de ces compatriotes, cherche à s’impliquer dans la vie parisienne,
il dépasse son identité d’originaire de la Creuse, à laquelle se borne la plupart
de ses pairs. Il commence par s’introduire dans les clubs politiques ; sachant
lire et écrire, il complète son salaire par des cours du soir qu’il donne aux
maçons désireux de s’instruire. Nadaud voyagera aussi, en Belgique, en Angleterre,
où il sera professeur. Il sera également élu député, et deviendra ainsi la preuve
de la possibilité d’une ascension sociale par l’émigration des campagnes de plus
en plus pauvres. D’ailleurs l’exemple de Nadaud a peut-être incité beaucoup de
Limousins à une migration définitive.
Cette migration nouvelle, accompagnée du reste
de la famille ne bouleverse pourtant pas réellement la vie quotidienne du maçon.
Il partira toujours au petit matin pour ne revenir qu’à la nuit tombée, “ s’il
est raisonnable”, précise Louis Bonnet.
Quand aux femmes, elles mènent une existence totalement nouvelle. Beaucoup d’entre-elles
se placent comme femmes de ménage dans le quartier, d’autres se font porteuses
de lait, de pain ou de journaux, ou encore, lavent le linge d’une petite clientèle
du quartier.
« La femme pendant
ce temps ne va pas rester inactive. Elle sait que son gain journalier, s’il est
moins élevé que celui de son mari, est encore le plus sûr.
Il ne court pas le risque de se fondre aux tentations de la rue et servira
intégralement à l’entretien de la famille. » [57]
Louis Bonnet laisse
entendre ici les dangers qui guettent le travailleur, dangers sur lesquels il
insiste d’ailleurs avec outrance dans son livre. Ces dangers sont ceux de l’alcool,
sur lequel on reviendra plus tard; mais c’est aussi le jeu.
Les
archives de la Préfecture de Police montrent la fréquence des jeux de hasard dans
la rue Mouffetard, notamment le jeu de la passe anglaise, illégal et dont
le principe reste assez obscur. Le maçon, fatigué par son travail viendra chercher
dans la boisson et dans le jeu un peu de réconfort. Leur travail est souvent pénible,
leurs salaires souvent dérisoires, leurs logements vétustes, spécialement pour
ceux qui habitent le quartier Mouffetard ou le quartier Maubert. Les policiers
du quartier font état d’un malheureux maçon qui préfère être envoyé au dépôt de
Nanterre, plutôt que de s’user à travailler sans pouvoir se sortir de sa misère:
« Antoine
Roudier, 47 ans , né dans la Creuse, 4 enfants, maçon, demeurant en garni rue
Saint-Médard, déclare être à bout de tout, et demande à être envoyé au
dépôt de Nanterre ». [58]
Si cette misère est bien une réalité, le docteur
Bonnet semble lui beaucoup plus soucieux de décrire les dangers que les réussites
de l’émigration creusoise. Son livre,
publié à Limoges, était assurément destiné à décourager l’exode limousin. Aussi
insiste-t-il sur l’état du quartier Mouffetard, qu’il qualifie de “ ghetto
de la colonie limousine ”, et qui favorise selon lui la propagation et la
contagion épidémique. Il insiste également sur les conditions de vie terribles
du maçon et de sa famille, pointant le manque d’espace, d’air et de verdure, autant
d’arguments pouvant émouvoir ses “ compatriotes ” encore au pays. Son
livre est donc bien un ouvrage de combat, celui d’un hygiéniste et d’un farouche
opposant à l’exode rurale. Il contribue donc à une construction un peu irréelle
de l’image du quartier, à faire naître l’image du sale quartier, image
qui reste profondément ancrée dans la mémoire des descendants Limousins, devenus
parisiens ou non.
Pourtant, la réalité de l’immigration creusoise
change avec le temps. Les enfants de maçons, élevés dans un cadre urbain, ne souffrent
pas de cette acculturation qui caractérisait l’immigration de leurs pères. Leur
intégration est beaucoup plus aisée. Nombreux sont ceux qui abandonnent d’ailleurs
la tradition du bâtiment et de la maçonnerie :
« Beaucoup deviennent
ce que l’on appelle des ouvriers d’art : ébénistes, serruriers, graveurs, électriciens,
lithographes; il y a là je crois un bon indice d’ascension sociale de nos émigrants »,
avoue toutefois le docteur Bonnet.
Les
conditions de vie s’améliorent aussi vers la fin du XIXème. Les familles
de Limousins quittent progressivement les garnis pour s’installer dans des meublés
ou des petits appartements individuels. La caserne de la rue Mouffetard, ancienne
caserne des Gardes Françaises, sera ainsi remplie presque exclusivement de familles
creusoises. La solidarité et le repli communautaire n’ont pas cessé avec l’arrivée
des familles. Le repli communautaire, pour employer des termes à la mode aujourd’hui,
mais qui expriment des réalités qui sont loin d’être neuves, accentue encore la
dinstinction qui s(‘opère entre le quartier et le reste de Paris.
II- PARIS-BOHEME
A- Artistes et vagabonds: la bohème
de Paris
La bohème est un
terme très en vogue dans cette période fin de siècle. Mais on l’a dit,
la bohème recouvre des réalités très différentes, qui prennent place en des lieux
également distincts. La vraie bohème, celle qui a fait le charme et la
réputation du Paris 1900 et qui est devenue mythique, s’étale dans le quartier
latin, entre le boulevard Saint-Michel et Saint-Germain-des-Près, mais aussi à
Montparnasse, ou encore à Pigalle et à Montmartre. Vincent Van Gogh utilisera
la métaphore du bohémien pour désigner l’avant-garde artistique [59]
. La bohème qui nous intéresse ici est
la bohème du pavé, pas celle des cabarets en vogue et des antichambres feutrées.
On a décrit plus
haut l’immigration parisienne dans sa version provinciale, sous l’angle de l’exode
rural. Mais Paris est également une terre d’accueil pour des populations de pays
voisins. Le désordre, mais surtout le prix des loyers, ont attiré bon nombre d’immigrés
italiens. Un article de L’Illustration écrit en octobre 1903, décrit cette
plèbe italienne de Paris. Le journaliste, Edouard Franck, relate sa rencontre
avec ce peuple d’artistes de la rue :
« Je
me dirigeai vers un des quartiers excentriques où les Italgos se groupent de préférence,
au bout de la rue Mouffetard, près de l’église Saint-Médard... ». [60]
Encore une fois,
les migrants se regroupent, pour mieux combattre la misère de la ville et mieux
supporter l’éloignement du pays natal. Le journaliste ajoute même qu’ils proviennent
de la même région, aux environs de Caserte, et de la Terra di Lavoro. Là encore,
ce peuple d’immigrés conserve par beaucoup d’aspects son mode de vie traditionnel.
On a vu plus haut comment les odeurs de la cuisine italienne se mêlaient aux miasmes
de la Mouffe.
Ces italiens gagnent leur vie en artiste, en
chantant dans la rue, en animant les rues de toutes sortes de spectacles :
« On
répétait sans désemparer le répertoire courant et la “ nouveauté ”.
Pinçant de la harpe ou de la guitare, grattant de la mandoline, raclant du violon,
chantant à tue-tête, tout le monde, les doigts et la bouche encore graisseux,
travaillait à l’envoi: le padre, la madre, la figlia, le bambino; la nonna elle-même,
l’aïeule au front branlant, tenait sa partie d’une voix chevrotante ». [61]
Sans Famille [62]
, le célèbre roman d’Hector Malot, rédigé
en 1878, témoigne aussi de la vie de cette bohème italienne. Le jeune Rémi arrive
à Paris avec Signor Vitalis, et cherche dans le quartier Mouffetard un certain
Garofoli qui emploie les petits musiciens pour les faire chanter dans la rue.
Mais l’horreur suscitée par le quartier et par l’horrible personnage de Garofoli,
qui n’hésite pas à battre les enfants qui ne font pas des recettes suffisantes
à ses yeux, fait renoncer Vitalis à placer Rémi dans un tel endroit. On peut douter
du réalisme des descriptions d’Hector Malot, toujours à cheval entre le mélo et
les derniers sursauts du romantisme, mais le journaliste de L’Illustration
fait aussi allusion à la violence des meneurs :
« Je fus témoin
du départ matinal d’une troupe de jeunes musiciens, talonnés par un de ces meneurs,
desquels il est permis de dire, en employant un euphémisme indulgent, qu’ils mènent
leur orchestre à la baguette. D’un pas déjà las, mais résigné, portant leurs instruments
frustes aux raccommodages grossiers, quelques-uns fléchissant sous le poids d’une
harpe disproportionnée pour leur taille, les pauvres enfants chétifs, aux allures
de chiens battus, se rendaient aux quartiers du centre, à la conquête de la fructueuse
recette dont ils ne profiteront pas... » [63]
Bien
sûr, on peut penser que la description du journaliste était guidée, consciemment
ou non, par la lecture de Sans Famille, mais toujours est-il que cette
accumulation de témoignages identiques sur le quartier, contribue à construire
une image forte et fixe. Le petit Rémi de Sans Famille, gardera de la rue
Mouffetard un effroyable souvenir, qui lui reviendra tout au long du roman. Mais
la description de cette bohème artistique de la Mouffe ne serait pas complète
si l’on n’évoquait pas la présence des artistes, de ceux qui ont été reconnus
et dont l’Histoire a retenu le nom. Bon nombre d’entre eux se réunissaient dans
des chambrées ou des garnis du quartier pour échanger leurs idées, leurs proses
ou leurs vers. Bien avant la période qui nous intéresse, Rabelais et ses amis
de la Pléïade, Ronsard et du Bellay avaient leurs habitudes dans un immeuble de
la place de la Contrescarpe.
L’exil
que vint y chercher Verlaine mérite d’être noté ici. Alors que son état de santé
et financier s’aggravait de jour en jour, il vint se réfugier dans un meublé au
39 de la rue Descartes. Il s’y enferma comme dans un mouroir avec sa maîtresse
du moment, Eugénie Krantz, avec ses drogues et son alcool. Seul le quartier Mouffetard
pouvait l’héberger pour un prix modique, tolérer ses exubérances et ses mœurs
perçues comme condamnables par ses contemporains. Le quartier Mouffetard est devenu
le lieu d’exil du poète, le refuge du marginal.
Enfonçons
nous maintenant un peu plus dans l’univers de la bohème de la Mouffe, pour étudier
sa population vagabonde, une des grandes préoccupations des autorités de l’époque.
Se pose encore un problème de définition, le vagabond désignant alors à peu prés
indifféremment, le voyageur, tel le Rémi d’Hector Malot, le rôdeur, ou encore
le clochard. Honoré-Antoine Frégier, toujours soucieux d’une méthode qui doit
légitimer le fruit de ses recherches, voulues scientifiques, définit le vagabond
d’après la loi :
« Les
vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n’ont ni domicile certain ni moyen de
subsistance, et qui n’exercent habituellement ni métier, ni profession : cette
définition est celle de la loi. » [64]
La définition de Frégier, bien qu’il se réfugie
derrière la loi, reste assez vague et n’apporte aucun élément pour une meilleure
compréhension du phénomène. Elle a toutefois l’intérêt d’introduire l’idée du
vagabond comme personnage suspect. Son ouvrage, au titre éloquent, Des classes
dangereuses dans la population des grandes villes et des moyens de les rendre
meilleures, consacre en effet un chapitre à ce qu’il appelle les “ gens
sans aveu ”. Le quartier Mouffetard semble être un grand foyer d’accueil
pour tous les types de vagabondages. Les vagabonds peuvent en effet se fondre
et se confondre dans une foule misérable, parmi laquelle ils ne détonnent pas.
Leur vagabondage, puisque c’est un délit, serait bien plus vite repéré dans les
beaux-quartiers. Les registres de police du quartier Jardin des Plantes, qui englobe
la rue Mouffetard, révèlent un nombre phénoménal de délit de vagabondages, quand
il ne s’agit pas de “ suspicion de vagabondage ”. Ainsi, non seulement
on suspecte le vagabond, mais on suspecte aussi les individus de vagabonder.
Cette
suspicion effrénée envers le vagabond peut s’expliquer par l’impossibilité pour
les autorités de contrôler cette population. On a vu plus haut, à propos des migrants
temporaires, à quel point l’absence de domicile fixe, de stabilité faisait naître
la crainte des autorités administratives. C’est une époque où le recensement est en train
de s’affirmer, où les autorités veulent connaître la population du pays, et ceci
est rendu particulièrement difficile dans les grandes cités, où l’on va-et-vient
perpétuellement dans le plus grand anonymat.
Le vagabond est même décrit comme un être dangereux
par nature. C’est ce que semble en tout cas vouloir dire Frégier :
« Le vagabond
étant le type originel de toutes les puissances du mal, se rencontre partout où
l’on exerce des industries illicites et criminelles : il en est l’artisan né ». [65]
Pour Frégier toujours,
c’est la paresse, le manque d’activité qui est responsable à la fois de la situation
du vagabond, mais aussi de sa dangerosité :
« Le
danger social s’accroît et devient de plus en plus pressant, au fur et à mesure
que le pauvre, livré à de mauvaises passions, cesse de travailler, il se pose
comme ennemi de la société, parce qu’il en méconnaît la loi suprême, qui est le
travail. » [66]
Le vagabond est également en quête de distraction,
c’est d’ailleurs cette quête qui le poussera vers le quartier Mouffetard, qui
offre à la fois l’anonymat dans une foule populaire, mais aussi la distraction
et les animations de ses rues. Ainsi, plus que se fondre dans une foule misérable,
le vagabond vient vers la rue Mouffetard comme vers un lieu de plaisir et de villégiature.
Il faut noter aussi la présence d’un asile de nuit, rue des Irlandais, qui servait
de refuge après des journées d’errance. Mais seuls les vagabonds n’ayant rien
à se reprocher pouvaient s’y rendre en toute sûreté. En effet, les visites policières
systématiques dans les asiles, écartaient bon nombre de vagabonds, conscients
de la suspicion dont ils étaient l’objet et méfiants de la persévérance policière.
Un très bel ouvrage est consacré à ce vagabondage
mouffetardien, celui de Jacques Yonnet, Rue des Maléfices
[67] . Le livre de Yonnet se situe entre le
roman autobiographique et l’étude ethnographique. Il étudie, en y prenant part,
la vie de la bohème de la Mouffe, de la Maube (quartier Maubert), et de la Montagne
(autour de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève). Son récit des vagabondages
parisiens des années 1940, se situe donc dans une période un peu trop tardive
pour nous intéresser ici, mais permet quand même de bien en cerner la réalité.
Réalité d’une misère soutenue par la solidarité, d’une errance joyeuse et inoffensive,
constamment traquée par la police. Il montre bien l’injustice de la suspicion
qui pèse sur ce peuple de l’errance, qui n’a de dangereux que l’apparence, certes
singulière et marginale.
B- Le petit peuple du chiffon
Avec le vagabond, le chiffonnier est une des
classes les plus intrigantes du Paris du XIXème. La population
parisienne ne semble pas à même de pénétrer l’univers de ce peuple du chiffon,
organisé en tribus, et qui présente à leurs yeux tous les indices de la sauvagerie.
Comme pour augmenter encore cette suspicion de l’opinion, les chiffonniers se
rassemblent au sein de certains quartiers, exposant ainsi beaucoup plus leur altérité.
Jusqu’à la fin du XIXème, ces tribus chiffonnières se rassemblaient
de préférence dans le XIIème arrondissement, c’est à dire dans les quartiers Saint-Victor,
Maubert et Mouffetard. On a déjà abordé longuement l’état de délabrement dans
lequel était plongé le quartier Mouffetard. La présence massive des chiffonniers
dans le quartier ne semble donc pas relever du hasard. D’ailleurs la population
chiffonnière du quartier est la plus mal vêtue, la plus mal logée, la plus misérable.
Le chiffonnier s’intègre parfaitement dans ce décor de misère, dont il semble
le maître, il en connaît tous les rouages. L’identité du quartier et celle des
chiffonniers sont indissociables l’une de l’autre : le chiffonnier explique le
quartier, comme le quartier explique le chiffonnier. Cette imbrication du chiffonnier
dans le quartier, son influence sur le désordre ambiant est décrite avec passion
par Louis Berger :
« Et
si vous pénétrez dans l’une des ruelles qui se dégorgent dans ce grand réservoir,
dans celle de Saint-Médard, par exemple, vous apercevrez, dés votre entrée, un
tas de masures déchiquetées et puantes, des masures à contrevents pourris et à
vitres de papier graisseux, des croisées d’où sortent de longues perches de bois
surplombant sur la rue, et desquelles pendent en loques des guenilles et de sales
haillons. Dans les lézardes des murs sont fichés des crampons qui supportent des
grappes de vieilles bottes et des couronnes de vieux chapeaux; puis, brochant
sur le tout, des hottes indicatrices se pavanent à leur aise au devant des portes,
ou jonchent en désordre le sol. Enfin, si votre regard veut pénétrer dans l’intérieur
de ces habitations, alors, au travers des milles débris et clinquantes ferrailles
qui en tapissent l’entrée, vous pourrez découvrir se mouvant entre des amas de
dégoûtantes vieilleries, un ou plusieurs de ces industriels nocturnes connus sous
le nom de chiffonnier » [68]
.
L’identité chiffonnière
du quartier Mouffetard se donne également à voir dans le nom attribué à une de
ces tribus de l’ordure, les patriarches, du nom du marché qui se trouve
derrière la rue Mouffetard, entre les rues de l’Arbalète et de l’Epée de Bois.
Un de ces poètes de la rue dont on a évoqué la présence à propos de la bohème,
a d’ailleurs écrit un poème intitulé Au quartier Mouf-Mouf. Le poète, Camille
Gazanova, y raconte la vie de son père, chiffonnier dans le quartier Mouffetard [69]
. Dans le langage de la rue, il décrit
le dur labeur de son père, la misère à laquelle ce peuple était condamné:
Au
quartier Mouf-Mouf
« J’ai
vu l’jour dans l’quartier Mouf-Mouf,
Mouffetard,
si Mouf vous dérange.
Mon
père est mort…y vient d’faire…ouf
J’pleure…,
pauv’ boug’…, c’était un ange.
On
a beau s’mett’ ange ou vaurien
Allons
donc, c’est la même chose…
Ouf…,
c’est fini…craque, plus rien…
(Qu’on
soit tout noir ou qu’on soit rose.)
V’là
l’père qu’a ben fait son ch’min,
Pas
dans l’Etat…dans l’cartonnage
Y
ramassait avec sa main
Tout
c’qu’on appelle l’chiffonage .
Y
travaillait toute la nuit ;
Sans
crochet…là…même sans hotte,
L’été,
l’hiver, quand l’sol reluit
Et
que le pauv’boug’crève ou grelotte.
Qu’e’
qu’ ça ya donc rapporté
D’fair’
trente-cinq ans l’honnête homme ?
Des
yeux scrofuleux ; l’dos vouté ;
La
vertébrale pourrie, ensomme.
Quoi
qu’il a pu ramasser ? Rien.
Ah !
mais si…, l’bout d’un ‘cigarette
C’est
ça qui vous fait du bien,
Quand
on n’a rien dans la trompette. (…) »
De
l’ordure, le chiffonnier retire d’abord de quoi manger, principalement les ossements
de viandes, et tous les restes que les ménages parisiens rejettent. A peu près
tout ce qui n’est pas mangé est vendu, même les détritus qui nous semblent les
plus insignifiants. Ainsi, le pain trop vieux pour être mangé ou pour être donné
aux chevaux, sera vendu à un charcutier qui le fera rôtir pour éliminer les mauvaises
odeurs et en faire de la chapelure. Le marc de café récupéré dans les poubelles
des restaurants ou des cafés sera vendu à des industriels qui en feront du café
frais, en y ajoutant un peu de vrai café, du seigle brûlé et du caramel ou de
la mélasse.
Tous les déchets trouvent ainsi une utilité,
dans la brocante, l’alimentation directe des chiffonniers, ou dans ces recyclages
douteux. Les registres de police rendent compte de la fréquence de la falsification
d’aliments dans le quartier Mouffetard, fraudes encouragées par cette récupération
totale de l’ordure par les chiffonniers. Ainsi, outre les balances truquées à
l’aide de faux-poids de 1 kilogramme, les commerçants du quartier sont souvent
accusés de filoutages d’aliments, de falsification de saucissons, de falsification
de fromages, ... Mais revenons aux chiffonniers. Même si les poubelles des Parisiens
semblent être pleines de ressources, les chiffonniers ne tirent que de très maigres
revenus de leur pénible travail. Ils parviennent à échapper au dénuement total
grâce à l’entraide et au regroupement, et la lutte contre la misère est une lutte
perpétuelle.
De par son activité
marginale, sa physionomie douteuse, le chiffonnier attire les soupçons, intrigue
l’opinion. Le chiffonnier prend une place très importante dans l’imaginaire parisien
du XIXème, et occupe une place de choix dans la littérature populaire,
comme en témoigne le personnage du Chourineur dans Les Mystères de Paris
d’Eugène Sue. Il est vrai que l’activité du chiffonnier est essentiellement nocturne.
Seulement une des trois rondes est effectuée au grand jour. La première
ronde a lieu de cinq heures à neuf heures du matin, quand les beaux-quartiers
terminent leur sommeil. La seconde de onze à trois heures de l’après-midi , et
la dernière dans la soirée.
Le
chiffonnier est donc en permanence en errance dans les divers quartiers de la
capitale, notamment dans les beaux-quartiers, où les poubelles sont plus beaucoup
plus enrichissantes. Par le dépouillement de ces poubelles bourgeoises, le chiffonnier
s’introduit dans l’intimité du bourgeois. Il sait précisément ce qu’il consomme,
et peut retracer par ce dépouillement quelques bribes de la vie d’un foyer. Savoir
qu’un individu aussi abject que le chiffonnier peut déchiffrer l’intimité de leur
foyer, effraie les bourgeois. On connaît
l’usage que certains régimes autoritaires on fait des chiffonniers et autres éboueurs
pour espionner certains de leurs opposants.
Mais
si le chiffonnier fait peur aux bourgeois, c’est surtout qu’il est toujours là
au moment où le bourgeois qui dort, à une heure où personne ne peut le surveiller.
Sa présence est connue mais elle n’est pas perçue. Le chiffonnier traîne sa misère
dans chacune des belles avenues haussmanniennes sans jamais être vu par leurs
habitants. Il fait alors figure d’une sorte de spectre nauséabond qui hante ces
quartiers. De plus, sa puanteur, ses guenilles, laissent présager du pire quant
à son hygiène et aux maladies dont il est potentiellement porteur. Il amène avec
lui le risque d’une contagion épidémique dans les beaux-quartiers.
Le chiffonnier ne
fascine pourtant pas uniquement les hygiénistes et les classes bourgeoises. L’ensemble
de la population parisienne est en proie à ces tribus de l’ordure. Les journaux
illustrés ne se lassent des reportages sur ces personnages romanesques, la littérature
populaire n’hésitent pas recourir à cette figure intrigante. Le chiffonniers
fascine aussi les artistes, les poètes, intrigués par cette population libertaire,
marginale qui hante les grandes villes européennes. Dans les Fleurs du Mal,
Charles Baudelaire leur consacre quelques alexandrins, soulignant l’alcoolisme
chiffonnier, amis surtout, dévoilant l’imagerie qui entoure cette figure faubourienne :
Le
vin des chiffonniers [70]
« Souvent,
à la clarté rouge d’un réverbère
Dont
le vent bat la flamme et tourmente le verre,
Au
cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux
Où
l’humanité grouille en ferments orageux,
On
voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,
Buttant,
et se cognant aux murs comme un poète,
Et,
sans prendre souci des mouchards, ses sujets,
Epanche
tout son cœur en glorieux projets.
Il
prête des serments, dicte des lois sublimes,
Terrasse
les méchants, relève les victimes,
Et,
sous le firmament comme un dais suspendu
S’enivre
des splendeurs de sa propre vertu.
Oui,
ces gens harcelés de chagrins de ménage,
Moulus
par le travail et tourmentés par l’age,
Ereintés
et pliant sous un tas de débris,
Vomissement
confus de l’énorme Paris,
Reviennent,
parfumés d’une odeur de futailles,
Suivis
de compagnons, blanchis dans les batailles,
Dont
la moustache pend comme les vieux drapeaux.
Les
bannières, les fleurs et les arcs triomphaux
Se
dressent devant eux, solennelle magie !
Et
dans l’étourdissante et lumineuse orgie
Des
clairons, du soleil, des cris et du tambour,
Ils
apportent la gloire au peuple ivre d’amour !
C’est
ainsi qu’ travers l’Humanité frivole
Le
vin roule de l’or, éblouissant Pactole ;
Par
le gosier de l’homme, il chante ses exploits
Et
règne par ses dons ainsi que les vrais rois.
Pour
noyer la rancœur et bercer l’indolence
De
tous ces vieux maudits qui meurent en silence,
Dieu,
touché de remords, avait fait le sommeil :
L’Homme
ajouta le Vin, fils sacré du soleil ! »
Outre le dégoût qu’elle inspire, l’activité
du chiffonnier est surtout perçue comme le reflet de la sauvagerie de ceux-ci.
Des êtres qui passent leurs journées dans l’ordure ne peuvent être totalement
civilisés, la fréquentation des poubelles étant particulièrement déshumanisante.
Cette barbarie du chiffonnier est une image très largement partagée dans l’opinion.
Ainsi, le quartier Mouffetard, déjà perçu comme un quartier incivilisé, puisque non plié
aux exigences de la modernité haussmannienne, endosse aussi l’image du quartier
des barbares, de repaire de sauvages.
Le chiffonnier était également entouré d’une
autre image, celle de l’homme libre, celle du philosophe du macadam, la référence
à Diogène étant d’ailleurs souvent employée pour le décrire. Son image est donc
plus complexe qu’on aurait pu le penser en premier lieu. L’extrait suivant, toujours
de Louis Berger retrace assez bien la complexité de cette figure prolétaire parisienne
:
« Le
chiffonnier est le philosophe pratique des rues de Paris. Dans son abdication
absolue de toute vanité sociale, dans ses flâneries incessantes et nocturnes,
dans cette profession qui s’accomplit à la belle étoile, il n’y a je ne sais quel
mélange d’indépendance fantasque et d’humilité insouciante, je ne sais quoi d’intermédiaire
entre la dignité de l’homme libre et l’abaissement de l’homme abject ; il y a
dans ces contrastes, enfin, quelque chose qui intéresse, captive et fait penser;
rien de plus particulièrement exceptionnel que cette profession. Au gré de son
caprice, il va de rue et de place en carrefour, fouillant, furetant, remuant à
l’aide du fer de son crochet et à la clarté de sa lanterne, ces tas de vieilleries,
ces débris de salle à manger, ces derniers lambeaux de vêtements caducs que la
consommation parisienne sème tout les jours sur le pavé de la ville. La position
du chiffonnier, dans les démarcations sociales, tient essentiellement une place
unique: c’est un sui generi à nul autre pareil ; il touche le bout de tous
les extrêmes; il est éternellement suspendu entre le haut et le bas, entre les
étoiles et le pavé, entre l’égout et la rêverie. » [71]
Le chiffonnier ne cesse en effet de se distinguer
de l’ouvrier et se gargarise d’ailleurs de la liberté que lui laisse son activité.
La liberté n’est pas seulement l’errance dans les rues de Paris, mais surtout
l’absence de patron et de régime salarial. Cette indépendance est une des grandes
fiertés et une des grandes distinctions identitaires du chiffonnier. Cette liberté
évolue dans la littérature pittoresque, vers la description de ces sages de la
rue, ayant choisi leur état par conviction comme le disait Berger plus haut. Alain
Faure, explique aussi, dans L’Haleine des Faubourgs, l’existence
d’un véritable mythe au XIXème, consistant à faire de la chiffe un refuge pour
les aristocrates désargentés et les industriels en faillite
[72] . De la conscience de leur liberté, de
leur indépendance, pourtant relative [73]
, les chiffonniers construisaient le
plus grand mépris pour l’ouvrier, le salarié. De même, bien qu’il partage ses
quartiers et sa misère, le chiffonnier méprise le pauvre qui ne lui fournit que
très peu de matière exploitable.
Devant le danger
que représente le chiffonnier, Alain Faure nous invite à une grande prudence.
Les registres de police du Commissariat de la Gare, dans le 13ème arrondissement,
ne mentionnent quasiment pas de délits commis par les chiffonniers, nous dit-il,
bien qu’ils soient pourtant nombreux dans ce quartier. Les chiffonniers sont également
très rarement en cause dans les diverses affaires répertoriées dans les registres
du quartier Mouffetard. Mais globalement, le chiffonnier reste perçu comme un
individu potentiellement dangereux : il est trop étrange pour être tout à fait
innocent, trop pauvre pour ne pas convoiter la richesse, trop libre pour accepter
l’ordre, trop mobile pour être contrôlé.
L’ensemble
des images qui gravitent autour de la figure du chiffonnier, semblent vouloir
nous le présenter comme une allégorie du quartier Mouffetard ; ces individus et
ce quartier font communément figure de spectres qui hantent la ville, l’emplissent
d’odeurs nauséabondes, de pénombre, et semblent porter en eux un potentiel danger
pour le reste de la ville et de la population parisienne.
Des mœurs barbares des mangeurs de châtaignes,
à la bohème vagabonde, jusqu’à l’étrange peuplade que forment les chiffonniers,
le quartier Mouffetard semble tout entier livré à la misère, à l’altérité, à une
existence mystérieuse. La fascination que ces populations marginales inspirent
est une fascination anxieuse, craintive, effrayée de la présence d’un tel peuple
au sein du Paris moderne. La corrélation entre le quartier Mouffetard, sinistre,
et sa misérable pègre est trop forte pour ne pas devenir incontournable de l’image
du lieu et de ses individus. La superposition, la conjonction d’un quartier dont
les murs se fissurent, qui sombre dans la décrépitude, où la lumière ne pénètre
pas, où l’odeur empoisonne les poumons qui s’y aventurent, avec une population
aussi étrange, fait surgir l’idée du danger.
La distinction devient
si forte dans le Paris nouveau entre les lieux populaires et les beaux-quartiers,
entre les Parisiens et les migrants, entre le peuple et la Société, entre l’ordre
et le désordre, que l’adjectif populaire, vient projeter le danger sur tout ce
qu’il qualifie. Appartenir à la classe populaire, le quartier populaire,
les mœurs populaires sont autant d’indices de dangerosité dans l’imaginaire
social. Le quartier populaire et la pauvreté sont donc, dans le Paris de la seconde
moitié du XIXème et du début du XXème, une menace pour le
reste de la ville, un mauvais lieu, un lieu dangereux. C’est du moins ce que l’on
peut tirer de cette définition des classes dangereuses par Honoré-Antoine Frégier,
si l’on considère le quartier populaire comme le lieu des classes populaires :
« Les classes pauvres et vicieuses
ont toujours été et seront toujours la pépinière la plus productive de toutes
les sortes de malfaiteurs : ce sont elles que nous désignerons sous le titre
de classes dangereuses ; car, lors même que le vice n’est pas accompagné
de la perversité, par cela qu’il s’allie à la pauvreté dans le même individu,
il est un juste sujet de crainte pour la société, il est dangereux ». [74]
[1] La Commission des artistes, 1793.-cité par MARCHAND, Bernard.-Paris, Histoire d’une ville. XIX-XXèmes siècle.-Paris: Le Seuil, 1993, page 22. Cet ouvrage bien conçu et agréable à lire dresse une belle fresque du Paris du XIXe et du XXE siècle. C’est sur cette ouvrage synthétique que repose l’évocation des transformations de Paris. Pour approfondir le sujet, se reporter aux différents volumes de la Nouvelle histoire de Paris.
[2] MERCIER, Louis Sébastien.-Tableau de Paris, Le Nouveau Paris.-in Paris le jour, Paris la nuit.-Paris: Robert Laffont, 1990, page 45
[3] TROLLOPE, Fanny.-Paris and the parisians in 1835.-cité par MARCHAND, op.cit., page 27.-cité par MARCHAND, Bernard.
[4] LAVEDAN, Pierre.-Histoire de l’urbanisme à Paris.-Paris: Hachette, page 433
[5] ROUSSEAU, Jean-Jacques.-Les Confessions.-Paris: Gallimard, Folio, Livre 4ème (1730-1731), page 211-212
[6] MERRIMAN, John M.- Aux marges de la ville.- Paris : Le Seuil, L’univers historique, 1994, page30
[7] MERCIER, op.cit, p72
[8] M. de CHATEAUTERNE.-Itinéraire de Pantin au Mont Calvaire, en passant par la rue Mouffetard,
le faubourg Saint Marceau, …, ou Lettres inédites de Chactas à Atala.-Paris :
Dentu, 1811, p13
[9] Cité par John M. Merriman.- Op. cit., page 13
[10]BRONGNIART, Marcel.-La paroisse Saint Médard au faubourg Saint Marcel.-Paris : Editions Picard et Cie, 1951, page 138
[11] DUHAMEL, Georges.-Confessions de minuit. La rue Mouffetard.- in Ame et Visages de Paris.-Montherlant (de), Henri (dir).-Paris: Musy, 1945, page 68
[12] BERGER, Louis.-Paris chez soi.-Paris: Boizard, 1854, page 202
[13] BERGER, op.cit., page 206
[14] CAÏN, Georges.- Nouvelles promenades dans Paris, tome VIII.-Paris : Flammarion, 1910, pages 31-32
[15] DAUMARD, Adeline.- Maisons de Paris et propriétaires parisiens au XIXème siècle(1809-1880).-Paris : Editions Cujas, 1965, 299p
[16] KOCK (de), Paul.-La maison Blanche. Suivi du Vieillard de la rue Mouffetard et autres tableaux de moeurs.-Paris: Editions Gustave Barba, 1858, page 1 du Vieillard de la rue Mouffetard.
[17] Emile Zola.-La Tribune, le 11 octobre 1868
[18] M.M, un parisien de Paris.-Quelques coins de mon village. La rue Mouffetard.-Paris: 1933, page 3
[19] L’Illustration, le 24 octobre 1903
[20] BERGER, Louis.-Paris chez soi.-Paris: Boizard, 1854, , page 208
[21] Registres de la police du commissariat Jardin des Plantes, années 1895-1901, 1903-1906. Ces mains courantes sont consultables aux archives de la préfecture de police de Paris, au commissariat du Vème arrondissement.
[22] Compte rendu des conseils d’hygiène.-Paris : Préfecture de police de Paris, 1900, 593p
[23] BONNET, Henri.-Paris qui souffre, la misère à Paris. Les agents de l’assistance à domicile.-Paris : Girard et Brière Editeurs, 1908, 291p
[24] BONNET, Louis.-L’émigration limousine et creusoise à Paris.-Limoges: Ducourtieux, 1913, 32p. La plupart des passages présentant un intérêt pour l’étude sont reproduits en annexes.
[25] CHEVREUL, Eugène.-Mémoire sur plusieurs réactions chimiques qui intéressent la population des cités populeuses.- in Annales d’Hygiène publique et de médecine légale, 1853, page 38
[26] ZOLA, Emile.-La Tribune, le 11 octobre 1868
[27] L’Illustration, le 24 octobre 1903
[28] CHARPENTIER, Octave.-A travers le quartier latin.-Paris : Phicque et Cie, 1915, pages 213-214
[29]CAÏN, Georges.-Nouvelles promenades dans Paris, tome VIII.-Paris : Flammarion, 1916, page 27
[30] BONNET, Henri.-Paris qui souffre, la misère à Paris. Les agents de l’assistance à domicile.-Paris : Girard et Brière Editeurs, 1908, pages 21-22
[31] CORBIN, Alain.-Le Miasme et la Jonquille. L’odorat et l’imaginaire social. 18ème et 19èmes siècles.-Paris: Aubier-Montaigne, 1982, page 168
[32] Ibid.-page 170
[33] Commission sanitaire du Jardin des Plantes.-in Annales d’Hygiène publique et de Médecine légale.-janv.-avril, 1837, page 200
[34] BARRET-KRIEGEL, Blandine.-in FOUCAULT, Michel (dir).-Politiques de l’habitat. 1800-1850.-Paris: Corda, 1977, page 130
[35] BILLY, André.-Paris vieux et neuf. La rive gauche.-paris : Eugène Rey, 1989, page 156
[36] M.M, un Parisien de Paris.-Quelques coins de mon village. La rue Mouffetard.-Paris: 1933, page 2
[37] Ibid.-page 3
[38] CAÏN, Georges.-Nouvelles promenades dans Paris, tome VIII.-Paris : Flammarion, 1916, page 24
[39]BALZAC, Honoré de.-Le Père Goriot.-Neuchâtel : Nouvelle Bibliothèque Neuchâtel, (1ère édition en 1834), 1965, page 6-7
[40] CAÏN, Georges.-Nouvelles promenades dans Paris, tome VIII.-Paris : Flammarion, 1916, page 24
[41]BILLY, André.-Paris vieux et neuf. La rive gauche.-paris : Eugène Rey, 1989, page 158
[42] Notamment dans Refuges ou dans Le Piéton de Paris, réedités récemment chez Gallimard, dans la collection L’Imaginaire.
[43] CHEVALIER, Louis.-Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXème siècle.-Paris: Plon, 1958, 567p
[44] RAISON-JOURDE, Françoise.-La colonie Auvergnate de Paris eu XIXème.-Paris :Ville de Paris, Commission des Travaux Historiques, 1973, 403p
[45]BONNET, Louis.-L’émigration limousine et creusoise à Paris.-Limoges: Ducourtieux, 1913, 32p
[46] NADAUD, Martin.-Mémoires de Léonard, maçon de la Creuse.-Paris: La Découverte, 1998 (1ère édition en 1889), 418p
[47] En hiver, la pluie, le gel et le vent constituaient autant de freins à la construction. Le travail se faisant beaucoup plus rare en hiver, la main d’oeuvre parisienne suffisait, et les Creusois pouvaient rentrer chez eux sans craindre de passer à coté d’un grand chantier.
[48] La Chanson des maçons de la Creuse.-in NADAUD, Martin.-Mémoires de Léonard, maçon de la Creuse.-Paris: La Découverte, 1998 (1ère édition en 1889), pages 405-406
[49] CORBIN, Alain.-Le temps, le désir et l’horreur: Essais sur le XIXème siècle.-Paris, Flammarion, 1991, page 207
[50] DAUDET, Alphonse.-Le Petit Chose.-Paris : Gallimard, Folio, (1ère édition en 1868), 1977, pages 179-181
[51] Les tourteaux ou tourtoux sont des galettes de blé noir en Limousin, des crèpes de sarrazin.
[52] NADAUD, Martin.-Mémoires de Léonard, maçon de la Creuse.-Paris: La Découverte, 1998 (1ère édition en 1889), page 62
[53] CORBIN, Alain.-Le temps, le désir et l’horreur: Essais sur le XIXème siècle.-Paris, Flammarion, 1991, page 211
[54] Ibid., page 212
[55] NADAUD, Martin.-Mémoires de Léonard, maçon de la Creuse.-Paris: La Découverte, 1998 (1ère édition en 1889), page 75
[56] CHEVALIER, Louis.-Op.cit.
[57]BONNET, Louis.-L’émigration limousine et creusoise à Paris.-Limoges: Ducourtieux, 1913, 32p
[58] Registres du 18ème quartier, Jardin des Plantes, 1898-1901
[59] MERRIMAN, John M. .- Op. Cit., page 23
[60] L’Illustration, , n°3165, le 24 octobre 1903
[61] Ibid.
[62] MALOT, Hector.-Sans Famille.-Paris: Gallimard, Folio, (1ère édition en 1878), 1980, 2 tomes
[63] L’Illustration, op.cit.
[64] FREGIER, Honoré-Antoine.-Des classes dangereuses dans la population des grandes villes et des moyens de les rendre meilleures.-Londres: Baillière, 1840, tome 1, page 192
[65] Ibid., page 50
[66] FREGIER, op.cit., page 7
[67] YONNET, Jacques.-Rue des Maléfices: chronique secrète d’une ville.-Paris: Phébus, 1982 (1ère édition en 1954), 349p
[68] BERGER, Louis.-Paris chez soi.-Paris: Boizard, 1854, page 208
[69] GAZANOVA, Camille.-Au quartier Mouf-Mouf. Scène réaliste.-Paris : Les Jeunes Parnasses, 5p
Il s’agit en fait d’un petit fascicule qui devait être vendu dans la rue. Il semble n’être disponible qu’à la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris.
[70] BAUDELAIRE, Charles.- Les Fleurs du Mal.- Paris : Garnier-Flammarion, 1991 (édition originale 1868), pages 152-153
[71] BERGER, Louis.-Paris chez soi.-Paris: Boizard, 1854, page 207
[72] FAURE, Alain.-Classes Malpropres, Classes Dangereuses.-in MURARD, Lion et ZYLBERMAN, Patrick.-L’haleine des faubourgs, in Recherches, n°29, 1977
[73] Ibid, pages 87-88
[74] FREGIER, Honoré-Antoine.-Des classes dangereuses dans la population des grandes villes et des moyens de les rendre meilleures.-Londres: Baillière, 1840, tome 1, 436p